Quelle est la réaction initiale de BusinessEurope aux propositions de la Commission relatives au socle européen des droits sociaux ?

L’objectif poursuivi par le socle européen des droits sociaux est le bon : augmenter l’emploi et accroître l’efficacité des politiques sociales et de l’emploi. En outre, une partie de l’analyse faite par la Commission concernant le socle est exacte : l’héritage de la crise est encore là, notamment en ce qui concerne le chômage. L’Europe est confrontée à des évolutions rapides dans les sociétés et le monde du travail et possède les systèmes de protection sociale les plus avancés au monde.

Cependant, le socle proposé se focalise sur l’offre de droits sociaux renforcés, ignorant le fait que la persistance d’un chômage élevé n’est pas dû à un déficit législatif au niveau européen. C’est notre préoccupation principale concernant le socle. Nous ne croyons pas que l’approche retenue permette réellement d’améliorer la situation sociale dans l’ensemble de l’Union européenne.

Les États membres où les problèmes sociaux sont les plus aigus se trouvent dans cette situation en raison de leur retard à engager les adaptations structurelles nécessaires pour s’adapter à l’évolution des conditions économiques et au vieillissement rapide des sociétés européennes.

Les défis socio-économiques auxquels nous sommes confrontés requièrent une approche intégrée, permettant d’améliorer notre compétitivité et de renforcer la croissance, tout en introduisant les réformes nécessaires sur le marché du travail pour créer plus d’emplois. Or, certaines des actions proposées ne reflètent pas l’approche intégrée des politiques économiques et sociales que nous préconisons.

C’est le cas notamment de la proposition législative de la Commission européenne relative à l’équilibre entre vie professionnelle et vie familiale. Cette proposition contient des dispositions sur le congé parental modifiant un accord négocié puis révisé par les partenaires sociaux européens. Cela ne respecte pas l’autonomie du dialogue social européen, a des implications potentiellement importantes en termes de coûts, et risque d’avoir des effets négatifs non-désirés pour la participation des parents sur le marché du travail.

Il faudrait que l’Union européenne se concentre sur le soutien à la modernisation des marchés du travail et systèmes sociaux dans tous les États membres afin d’assurer des conditions générales permettant aux entreprises de créer plus d’emplois et réduire le chômage partout en Europe. Et pour ce faire, il faut des réformes nationales et une bonne coordination des politiques économiques et sociales des États membres.

Concernant le dialogue social européen : pourriez-vous expliquer les antécédents des négociations des partenaires sociaux et pourquoi la proposition de la Commission risque de mettre en danger le processus dans son entièreté ?

Les partenaires sociaux européens ont négocié un accord-cadre européen sur le congé parental en 1995. Après une consultation des partenaires sociaux conduite en 2007-2008, les partenaires sociaux européens se sont mis d’accord sur l’ouverture d’une négociation pour réviser cet accord, qui a abouti à un accord révisé en 2009.

Les partenaires sociaux européens ont choisi de demander la mise en œuvre de leur accord par la voie de la procédure spécifique, prévue à l’article 155 du Traité, par laquelle l’accord des partenaires sociaux se voit conférer force contraignante dans le cadre d’une directive proposée par la Commission, et adoptée par le Conseil.

Dans le cadre de cette procédure, la Commission et le Conseil n’ont pas la possibilité de proposer des changements au contenu de l’accord.

Pour la première fois, dans le cadre de sa proposition législative relative à l’équilibre entre vie professionnelle et vie familiale incluse dans le paquet du socle européen des droits sociaux, la Commission a proposé de manière unilatérale une initiative législative ayant un impact sur le contenu d’un accord des partenaires sociaux, sans que les partenaires sociaux se soient mis d’accord sur l’opportunité de réviser à nouveau leur accord.

Nous ne contestons pas le droit d’initiative que le Traité confère à la Commission mais nous soutenons que la Commission doit respecter l’esprit des dispositions du Traité garantissant l’autonomie du dialogue social européen. Il revient aux partenaires sociaux, et à eux seulement, de décider du contenu de leurs accords.

Que répondez-vous à Madame Thyssen qui a affirmé lors de la présentation du socle que la Commission a décidé d’agir étant donné que les partenaires sociaux n’étaient pas prêts à négocier un nouvel accord sur les congés parentaux ?

Je réponds que l’approche de la Commission qui modifie la directive sur le congé parental issue d’un accord des partenaires sociaux génère des inquiétudes quant au dialogue social européen car elle affaiblit une garantie institutionnelle fondamentale pour le développement du dialogue social au niveau européen : la garantie que le contenu des accords négociés par les partenaires sociaux ne sera pas modifié par le législateur. L’absence de consensus entre employeurs et syndicats sur l’opportunité de réviser à nouveau un accord ne donne pas carte blanche au législateur.

Je réponds également qu’une nouvelle révision du congé parental ne rapprochera pas l’Europe des citoyens. Le cadre légal européen actuel sur le congé parental assure des prescriptions minimales suffisantes. Il revient à chaque État membre d’affiner leur politique de réconciliation, dans le contexte du cadre réglementaire européen existant, pour répondre au mieux à ces attentes en tenant compte de leurs réalités économiques et sociales.

Exiger des États membres qu’ils compensent le temps passé en congé parental au niveau de rémunération qui s’applique en cas de maladie risque d’accroître les coûts du travail et de nuire à la création d’emplois. En outre, se concentrer sur les congés n’est pas la bonne approche. Ce n’est pas en encourageant davantage de personnes à s’absenter temporairement du marché du travail qu’on accroîtra la participation à l’emploi. C’est le renforcement de l’approche européenne en matière de structures de garde d’enfant qui aurait dû être au cœur des priorités de la Commission en matière de réconciliation entre vie professionnelle et familiale.

De façon plus générale, pensez-vous que davantage de réglementations sociales pourront répondre aux défis qui se posent à l’Union européenne dans le domaine social ?

Non. Ce dont nous avons besoin, c’est de plus d’emplois. Il existe déjà plus de 70 directives européennes protégeant les travailleurs et leur conférant des droits étendus, sans oublier la législation et les prestations sociales nationales. Nous continuerons à nous engager dans le dialogue sur la législation sociale européenne, notamment pour veiller à une mise en œuvre correcte des directives existantes. Mais la Commission et les syndicats doivent se rappeler que les problèmes sociaux de l’Europe ne résultent pas d’un déficit en législation sociale, mais d’un manque de compétitivité. Nous ne pourrons faire face aux défis sociaux que si la croissance économique et la création d’emplois progresse plus fortement à l’avenir. C’est ainsi que des améliorations peuvent être apportées à la vie de chacun.

Compte tenu que le socle ne concerne que les membres de la zone euro, pensez-vous qu’il y ait un risque de créer une Europe à deux vitesses dans le domaine social ?

Le scénario n’est pas clair. Pour la Commission, le socle est conçu avant tout pour la zone euro, mais il est ouvert à tous les États membres qui souhaitent en faire partie. Elle propose ensuite pour le socle un accord interinstitutionnel entre la Commission, le Parlement européen et le Conseil – ce qui implique que tous les États membres seraient couverts. De plus, le socle s’accompagne d’initiatives législatives européennes qui s’appliqueraient à l’ensemble des États membres. La confusion ainsi créée est une autre préoccupation importante que nous avons par rapport au socle.

Nous ne pourrons évaluer pleinement les conséquences potentielles de ces propositions pour la convergence socio-économique dans la zone euro qu’une fois que la Commission aura précisé certains aspects et publié son document de réflexion sur l’avenir de l’Union économique et monétaire (UEM).

Pour BusinessEurope, le bon fonctionnement des marchés du travail et des systèmes de protection sociale dans les États membres de la zone euro est un facteur important du succès de l’UEM. Cependant, cet objectif s’inscrit dans une approche plus large visant à réduire les écarts de compétitivité entre États membres et à encourager les réformes nécessaires pour améliorer l’efficacité des politiques sociales nationales et assurer la soutenabilité financière des systèmes de prestations sociales dans tous les États membres. Sans cela, on ne parviendra pas à améliorer la convergence réelle entre États membres.

La Commission européenne justifie en partie ses propositions par la volonté de répondre aux inquiétudes des citoyens européens tout en les rapprochant de l’Union européenne : ne court-elle ainsi pas le risque de faire des promesses qu’elle ne pourra pas tenir ?

En effet, c’est le grand risque de cette démarche. C’est la convergence économique qui est le fondement de la convergence sociale et non l’inverse. La consultation sur le socle européen des droits sociaux a suscité de nombreuses attentes chez les syndicats, les ONG de la société civile ainsi que certains citoyens qui suivent ces questions de plus près. Mais la très grande majorité des citoyens jugerons l’Union européenne sur sa capacité à répondre à leurs attentes en matière d’emplois et de prospérité. Or, la création d’emplois et la prospérité des citoyens ne se décrètent pas. Elles sont le résultat de l’activité des entreprises et de leurs salariés.