Lorsque l’entraîneur de football allemand, Jürgen Klopp, a rejoint l’emblématique Liverpool FC en octobre 2015, la presse anglaise lui demandait comment il se comparait à l’entraîneur star de l’époque, José Mourinho qui en 2004 s’était présenté à la même presse anglaise comme étant « The Special One ». Confronté à cette question, Jürgen Klopp finit par répondre « I am the Normal One ». Devenu entretemps une marque déposée du club de Merseyside, le qualificatif « The Normal One » m’est récemment venu à l’esprit en observant des évolutions récentes du cadre réglementaire et fiscal dans lequel évolue l’économie luxembourgeoise.
Ce cadre a largement déterminé le succès de notre économie. Le secret bancaire, les aménagements au niveau de la base fiscale des sociétés, la fiscalité indirecte particulièrement attrayante, l’application du principe du pays d’origine sur plusieurs segments du Marché Unique ou encore les recettes fiscales et sociales sur les travailleurs frontaliers ont fait du Luxembourg « The Special One ». Mais depuis plusieurs années on constate que nos partenaires européens et internationaux resserrent l’étau sur une série d’éléments caractérisant ce modèle de croissance. En attendant une base fiscale identique pour toutes les sociétés multinationales en Europe (ACCIS), les règles fiscales BEPS ou ATAD ont commencé par réduire significativement la marge de manoeuvre nationale influençant la compétitivité fiscale du pays. Une série de leviers persistent, mais le gouvernement en place veut clairement renoncer à des retombées économiques résultant de pratiques fiscales considérées comme agressives. Les années à venir nous montreront si, en matière d’impôts sur les sociétés, un cadre fiscal de plus en plus normalisé arrive toujours à générer des rentrées fiscales hors normes.
Depuis le combat politique autour de la proposition de directive service dite Bolkestein et son adoption en 2006, le principe du pays d’origine souffre d’un manque de reconnaissance au sein du Marché Unique, fermant des niches potentielles pour notre pays. Les tergiversations autour de la taxation des géants du digital (taxe GAFA) donnent un avant-goût de projets de réforme visant à répartir des futurs revenus d’impôt conformément au principe du pays de destination. Cette logique s’annonce menaçante pour notre économie ouverte et nos finances publiques si elle était généralisée.
Mais attention, le principe du pays d’origine n’est pas complètement tombé aux oubliettes. Nos pays voisins le sortent du tiroir lorsqu’ils réclament une part de l’impôt sur les personnes physiques que leurs ressortissants, travailleurs frontaliers, cèdent à l’État luxembourgeois. Le gouvernement luxembourgeois résistera-t-il à la pression exercée en Grande Région ? Est-ce que, conformément aux accords fiscaux bilatéraux, la pratique de plus en plus généralisée du télétravail ne lui fera pas perdre de toute façon une part du gâteau ?
Mon dernier cas de figure concerne les taxes indirectes. Avec les hausses d’accises effectuées et annoncées sur le diesel, notre gouvernement affiche son intention d’abandonner une politique vieille de plusieurs générations qui consiste à encaisser des recettes fiscales sur les camions en transit en les incitants à faire leur plein sur une de nos aires de service, elles aussi hors du commun. Les ambitions climatiques du pays et le refus politique de compenser en partie les ventes de carburants par des achats de quotas conduiront à une délocalisation de ces ventes et des recettes y afférentes. Les transporteurs luxembourgeois feront leur plein en Belgique ou en France. La balance des émissions, les volumes de ventes et l’activité sur les aires spécialisées ainsi que les recettes fiscales seront donc « normalisés ».
Ces quelques exemples illustrent à quel point les recettes du succès économique de notre pays peuvent être éphémères. Notre gouvernement devra se battre pour garder les unes ou être assez ingénieux pour arriver à compenser la perte des autres s’il veut garder l’actuel rythme de vie. Nos chances de succès dépendront de notre capacité de nous réinventer.
Jürgen Klopp, « The Normal One » a transformé une équipe en perte de vitesse en une équipe de champions. Il a construit un écosystème performant au sein du club en se basant sur les éléments positifs d’un grand héritage, mais il a surtout su créer une équipe en forme, soudée et motivée qui suit son chemin avec détermination.
Serait-ce un modèle pour le Luxembourg ?