Depuis 2020, les crises s’enchaînent, laissant peu de répit à l’économie luxembourgeoise et, a fortiori aux entreprises. Des facteurs extérieurs au pays ne cessent de souffler le chaud, mais surtout le froid : une pandémie venant d’Asie, entrainant dans un second temps une perturbation des chaînes d’approvisionnement de certaines matières premières et une hausse exceptionnelle des prix. Ensuite, une invasion de l’Ukraine par la Russie qui fit de l’année 2023 une année de records : d’inflation, de taux d’intérêt, de prix de l’énergie, etc. Cela a freiné les investissements, fait chuter la rentabilité des entreprises, le pouvoir d’achat et la confiance, ce qui a conduit le Luxembourg à finir l’année en récession, sur toile de fond de tensions géopolitiques à leur paroxysme et de crise de la demande, venant succéder à une crise de l’offre.
Les conditions pour que le Luxembourg sorte de ce marasme économique sont connues et il s’agit de les appliquer rapidement. Avec un objectif ultime : conserver la substance économique sur le sol national car celle-ci n’a de cesse de s’effriter. Des banques partent, des investisseurs ont décidé de ne pas s’installer au Luxembourg, les commerces désertent les villes, etc.
L’économie luxembourgeoise a d’abord besoin d’un renouveau de la confiance des entreprises et des consommateurs, qui permettrait de relancer la dynamique économique. L’inflation galopante a certes nécessité une hausse des taux d’intérêt, mais elle a également, via le système d’indexation automatique et intégrale des salaires – une singularité luxembourgeoise – déclenché une vague d’augmentations salariales, avec pour conséquence une hausse du coût salarial moyen de 6,3% en 2023 selon le STATEC. D’autres compensations ont également été négociées notamment lors des tripartites. Des mesures particulièrement coûteuses pour les entreprises et les finances publiques. À l’heure où l’inflation pourrait se stabiliser au-delà des 3% selon divers experts, la situation de 2023, jugée exceptionnelle, risquerait de devenir une sorte de norme. Dès lors, le système luxembourgeois est-il toujours adapté ? Poser la question, c’est (peut-être) déjà y répondre. Ce n’est toutefois pas la position du nouveau Gouvernement.
S’attaquer aux déséquilibres notoires qui fragilisent, pour certains depuis longtemps, le modèle socio-économique luxembourgeois est une deuxième priorité. Le logement en tête. Car à la crise du logement s’est ajoutée une crise de la construction sous l’effet notamment de taux d’intérêt en forte hausse. Alors que la mise sur le marché de biens était déjà (largement) insuffisante, ce coup d’arrêt dans l’immobilier est un pas dans la mauvaise direction. Et viendra compliquer la résolution d’une autre faiblesse structurelle du pays : l’attraction et la rétention des talents. Le manque de logements universitaires, par exemple, constitue un obstacle majeur pour les étudiants souhaitant étudier au Luxembourg. Ce sont pourtant les talents de demain. Certains employeurs, de leur côté, souhaitent pouvoir mettre à disposition de leurs stagiaires et employés des logements, qu’ils envisagent même de faire construire. Si cette solution est loin d’être novatrice, et nous ramène à l’âge d’or de l’industrie, elle renseigne sur l’urgence de la situation, qui plus est dans un contexte de concurrence internationale intense. Si elle a permis une accélération majeure de la digitalisation au sein du monde du travail, la crise sanitaire liée au Covid-19 a aussi fait émerger de nouvelles questions autour de l’organisation du travail. Télétravail en tête. Les conventions fiscales en vigueur avec les pays voisins ne laissent toutefois que peu de latitude dans ce domaine, avec un impact important sur l’attraction et la rétention de la main-d’œuvre, notamment dans le secteur bancaire et des assurances. Le nouveau Gouvernement, dans son Accord de coalition, prévoit de discuter avec ses voisins.
Si le Luxembourg doit attirer toujours plus de travailleurs de toutes qualifications, avec les impacts que nous connaissons sur la saturation de la mobilité et du logement notamment, c’est parce que « l’évolution médiocre de la productivité du travail persiste au niveau agrégé de l’économie nationale », selon le dernier rapport du Conseil national de la productivité (CNP)1. Un constat récurrent. « Vu son importance pour conforter la compétitivité des entreprises, soutenir l’évolution des salaires réels, pérenniser le modèle socioéconomique et accroître le niveau de vie à long terme, le CNP réitère sa recommandation de faire de la productivité une priorité de l’agenda politique […] ». On ne saurait être plus clair. Comme le résume le titre du rapport du CNP, la productivité est un moteur de la compétitivité. Or si l’évolution de productivité est actuellement très plate (mais reste à un niveau élevé), la compétitivité du pays, elle, régresse, ce que tendent à démontrer les classements internationaux. En cause, notamment : le coût du travail, mais pas seulement.
Le Luxembourg perd aussi de sa compétitivité fiscale, à l’heure où les réformes européennes et mondiales risquent de bouleverser la donne. Des mesures fiscales ciblées doivent aussi voir le jour afin d’assurer une croissance pérenne, une diversification de l’économie luxembourgeoise et un soutien accru aux PME. Car la fiscalité n’est pas une fin en soi, mais un puissant levier d’action. Avec une rentabilité mise à rude épreuve, les entreprises peinent à dégager des marges. Il s’agit pourtant d’une condition sine qua non pour réaliser des investissements opérationnels et stratégiques, moderniser leurs infrastructures, développer de nouveaux produits et services et être de manière générale en ligne avec les transitions énergétique, environnementale et digitale, pour lesquelles les entreprises doivent être accompagnées et non contraintes.
Le rebond économique attendu en 2024 dépendra également de la mise en œuvre de l’Accord de coalition. Si ce dernier contient de bonnes intentions (simplification administrative à l’heure où les entreprises se noient sous le poids des réglementations, via notamment une digitalisation accélérée des procédures, soutien à l’entrepreneuriat, résolution de la crise dans le logement, davantage de partenariats avec le privé, etc.), la priorité accordée aux différentes mesures, le momentum de mise en œuvre et l’impact sur les finances publiques seront des éléments décisifs. De la santé du budget public dépend en effet la capacité du Luxembourg à se montrer agile et résilient en cas de futurs chocs ou défis, notamment en matière de sécurité sociale dans un environnement démographique vieillissant.
Au niveau européen, les élections de juin seront un évènement clé, à l’heure où les partis extrémistes accèdent au pouvoir ou s’en approchent dans de nombreux pays, où la surrèglementation européenne est critiquée, et où le décrochage économique de l’Europe par rapport aux Etats-Unis et sa dépendance à la Chine pour les matières premières sont des inquiétudes grandissantes.
2024, l’année de l’action !
(1) Conseil national de la productivité Luxembourg, Rapport annuel 2022-2023 : La productivité – un moteur de la compétitivité