Monsieur Rassel, ce 23 avril 2024, vous avez succédé comme nouveau président de la FEDIL à Michèle Detaille qui a été pendant 5 ans à la tête de l’association patronale. Votre parcours professionnel de plus de 35 années au sein de la société d’ingénierie Paul Wurth, active dans la sidérurgie, semble vous prédestiner à vous plonger au cœur des grands thèmes qui préoccupent l’industrie et ses entreprises – grands thèmes d’avenir aussi.
En effet, tout au long de ma carrière que j’ai débutée en 1988 chez Paul Wurth et qui m’a conduit au poste de Directeur général et, aujourd’hui, membre du Conseil d’administration, j’étais au plus près des sujets qui ont marqué le paysage économique, et plus particulièrement le développement de l’industrie aussi bien sur le plan national qu’à l’international.
Pour une entreprise d’ingénierie, sa force, et d’ailleurs sa survie, réside dans sa capacité de s’adapter et surtout d’innover. Avoir un cadre propice à la recherche et au développement et à l’innovation technologique est crucial pour assurer la compétitivité et la durabilité de toute entreprise. Bien sûr ceci était vrai déjà dans le passé, mais avec l’automatisation, la digitalisation, et aujourd’hui l’intelligence artificielle, cette course à l’innovation va en s’accélérant.
Pour l’industrie, l’innovation va bien sûr de pair avec la transition énergétique et écologique. Les efforts de décarbonisation constituent un défi énorme pour le secteur, mais renferment aussi des opportunités en termes de nouvelles technologies, optimisation des processus, énergies renouvelables, économie circulaire … Pour l’industrie sidérurgique, par exemple, produire de l’acier vert est un vrai changement de paradigme : Reconsidérer le procédé de fabrication de l’acier à partir de minerai de fer en remplaçant le charbon et le gaz par de l’hydrogène est un travail de longue haleine.
Enfin, pour orchestrer tous ces changements, nous avons besoin d’hommes et de femmes motivés et engagés qui sont attachés à la cause de l’industrie. Et, il va sans dire, d’un contexte économique et d’un cadre réglementaire en faveur d’un environnement industriel productif et compétitif.
Technologie & innovation, énergie & environnement, talents & relations de travail, voilà ce qui nous ramène aux trois piliers essentiels de la FEDIL.
À une époque où les mises en garde contre le risque de la désindustrialisation de l’Europe se multiplient, comment jugez-vous la situation et lesquels sont, selon vous, les leviers à actionner pour inverser la tendance ?
S’il est indéniable que l’industrie européenne est en train de perdre du terrain contre ses concurrents aux États-Unis et en Asie, je reste confiant que l’Europe possède des atouts qui lui permettent de retrouver son attractivité et compétitivité industrielles. Toutefois, il faudra agir vite et mettre en place une stratégie concertée et cohérente.
J’aimerais rappeler que le Luxembourg a atteint un niveau de qualité de vie élevé avec un système social parmi les meilleurs dans le monde grâce au développement de ses industries. Tout au long de son histoire, l’industrie au Luxembourg a été le reflet de la résilience, de l’innovation et du positionnement stratégique du Grand-Duché au sein de l’économie mondiale. Pour pérenniser ces acquis, le pays doit continuer de miser sur le développement et la diversification d’une économie forte et ouverte, hautement productive. Pour ce faire, nous devons essayer de diversifier les activités industrielles, en nous concentrant sur de nouvelles opportunités ou des niches de marché. Je pense notamment aux technologies stratégiques définies dans le cadre du Net-Zero Industry Act européen qui soutiennent le développement d’une industrie décarbonée : technologies photovoltaïques, éoliennes, batteries, pompes à chaleur, fuels synthétiques, etc. D’autres opportunités sont envisageables dans le domaine du Big Data, où nous avons déjà en place des infrastructures performantes, ou encore dans le domaine de la sécurité et de la défense, d’ailleurs mentionné dans l’Accord de coalition du nouveau gouvernement. Et poursuivre les efforts déjà entamés dans le secteur spatial et le domaine des bio-tech, des activités qui attirent à présent déjà bon nombre de start-up. Or, pour réussir cette réindustrialisation bien ciblée et créer une dynamique de croissance, les conditions-cadres doivent être réunies, et c’est là que nos responsables politiques doivent intervenir ! Favoriser une politique d’investissement et fiscale en ce sens, assurer les infrastructures adéquates, établir des zones d’activités modernes, relancer la construction de logements … sont autant de facteurs nécessaires qui jouent et qui doivent être ancrés dans une vision à moyen et long terme.
Comme le renforcement de notre tissu industriel ne se joue pas seulement au niveau national, mais a une envergure clairement européenne, il est essentiel de renforcer et d’harmoniser le marché intérieur, de privilégier les échanges commerciaux internationaux et, je dirais prioritairement, de réduire substantiellement la charge administrative et le carcan règlementaire.
Vous voyez que les sujets à l’agenda de la FEDIL sont nombreux et essentiels pour l’avenir de l’industrie.
Justement, pour en venir au rôle de la FEDIL, où se situent les actions de l’association et quelles sont ses priorités ?
En 2023, la FEDIL a pour la première fois dépassé la barre des 700 membres. C’est dire que nous représentons les intérêts d’une vaste communauté d’acteurs issus de secteurs d’activités très divers, tous rattachés à l’industrie et représentant 35% du PIB. C’est ce qui fait la richesse et la force de la FEDIL, tout en représentant un vrai défi !
Aujourd’hui, la FEDIL est un interlocuteur de choix du gouvernement sur une série de sujets qui sont de notre compétence : questions énergétiques et environnementales, transformation numérique, développement des talents, relations de travail. En nous basant sur notre expertise, nous souhaitons d’ailleurs renforcer notre rôle de force de proposition avec un travail constructif, sans pour autant renoncer aux sorties critiques, si cela s’avère nécessaire.
Un bon exemple pour ce dialogue constructif a été la récente crise énergétique, où les experts de la FEDIL ont multiplié les contacts avec les ministères et administrations compétents, notamment en vue de préparer la réponse à d’éventuelles ruptures d’approvisionnement, de profiter des opportunités de la réforme du marché européen de l’électricité ou d’adapter les aides étatiques aux besoins des entreprises.
À côté de nos compétences en interne, nous comptons aussi recourir davantage aux compétences de nos membres, tirant ainsi profit d’un pool extraordinaire de savoir et d’expérience du terrain. Dans ce sens, nous disposons déjà maintenant de nombreuses plateformes d’échange et de rencontre qui s’adaptent au gré des sujets d’actualité. Avec son approche projet, la FEDIL permet à chaque membre intéressé de partager son expertise sur un sujet donné en contribuant au travail d’analyse et à l’élaboration de positions ou initiatives de notre fédération. Au cours des 9 années où je suis maintenant membre du conseil d’administration de la FEDIL, j’ai eu l’occasion de participer à de nombreux échanges. Dans ma nouvelle fonction de président, j’entends multiplier les visites d’entreprises et les contacts individuels avec les dirigeants et spécialistes pour bien prendre la température des secteurs et connaître les préoccupations de nos membres. Ce que j’ai d’ailleurs déjà entrepris de faire pour préparer ma présidence.
La FEDIL est une des rares organisations professionnelles à couvrir le sujet de la recherche et de l’innovation. Cette action va-t-elle se poursuivre ?
Comme je l’ai dit, l’innovation est une des pierres angulaires de la productivité et de la compétitivité. Considérant qu’avec 0,55% de son PIB alloué au budget de la recherche, le Grand-Duché arrivait en 2023 au 15e rang parmi les pays de l’UE, il a y encore de la marge de manœuvre ! Nous avons bien l’intention de pousser en faveur d’un encadrement de la recherche, d’une sensibilisation et d’un soutien favorables à l’innovation dans les procédés et dans les produits et services. Nous continuerons à nous engager en faveur de liens renforcés entre le monde de la recherche publique et les entreprises innovantes pour faciliter la création de nouvelles capacités et compétences.
Tous nos interlocuteurs au quotidien s’accordent à dire que l’émergence et le développement fulgurant de l’intelligence artificielle domineront dans les années à venir le volet RDI et l’évolution du monde industriel en général. Aussi souhaitons-nous accorder une attention particulière à ce sujet, en œuvrant en faveur d’un positionnement de pointe du Luxembourg en ce qui concerne la préparation du pays et de sa population, les applications et l’utilisation en entreprise en vue de gains de productivité ainsi que d’un cadre législatif favorable à l’innovation.
Tous ces chamboulements requièrent des compétences bien spécifiques. Où trouver les talents nécessaires alors que le monde du travail est lui-même en mutation profonde ?
Il est vrai que beaucoup de secteurs connaissent une pénurie de main-d’œuvre, du moins pour certains profils recherchés. D’un autre côté, les métiers changent.
Il est donc impératif de promouvoir et de faciliter la “mobilité” des talents. Il faudra que les pouvoirs publics mettent en place des mesures rapides pour améliorer les conditions d’attrait et d’accueil de ressortissants de pays tiers, la question du logement étant intimement liée à cette problématique. Le récent exemple de la fiscalité allemande sur des éléments de salaire non imposés au Luxembourg démontre qu‘il faut rester vigilant sur la question de l‘attrait et de la rétention de nos collaborateurs frontaliers. Il faut faire preuve de créativité et d‘une capacité de réaction rapide pour remédier à d‘éventuelles pertes d‘attrait qui peuvent surgir dans les interrelations avec nos pays partenaires, et notamment nos pays voisins.
Il faudra aussi adapter et encourager les formations de mise à niveau avec les nouvelles technologies et les nouvelles formes de travail. Il faudra améliorer les incitants au maintien dans l’emploi et couvrir le sujet des transports vers le lieu de travail. Vous voyez que les leviers d’action sont multiples !
Du côté de la FEDIL, nous nous engageons depuis de longues années pour promouvoir les métiers techniques et scientifiques auprès des jeunes et leur présenter l’industrie comme une filière professionnelle qui permet des parcours passionnants et ouverts sur l’avenir. À l’automne, nous allons d’ailleurs relancer l’initiative HelloFuture, en collaboration avec le gouvernement et la Chambre de Commerce, et reprendre notre présence dans les classes de lycée pour mettre la jeune génération en contact avec l’industrie et ses entreprises.
Nous avons aussi l’intention de renforcer notre contact avec l’Université du Luxembourg qui est un réservoir très précieux de talents, venant en grande partie de l’étranger. Dans ce sens, nous soutiendrons la création d’un cadre qui permette de gagner ces profils pour notre industrie, en leur proposant des stages, en accompagnant des travaux de diplôme ou de PhD et, in fine, en leur offrant un premier emploi.
En parlant de recrutement, de formation et d’organisation du travail, la FEDIL est particulièrement compétente sur le sujet des relations de travail. À ce niveau aussi, les revendications et attentes des uns et des autres changent.
En effet, les conseillers-juristes de la FEDIL sont fortement sollicités pour des questions liées au droit du travail et aux ressources humaines et leur expertise en la matière profite à un grand nombre de nos membres. Depuis le COVID et l’introduction généralisée du télétravail, beaucoup de requêtes gravitent autour de l’organisation du travail et du télétravail transfrontalier avec ses seuils de tolérance applicables en matière fiscale et de sécurité sociale.
Par rapport aux instances politiques, la FEDIL observe également de près l’évolution du coût du travail et interviendra si nécessaire, surtout en période de forte inflation. Finalement, la FEDIL veut continuer à valoriser son expertise et son expérience en contribuant de manière active et déterminée au travail politique de l‘UEL sur les questions de relations de travail.
Un message personnel pour terminer ?
Je tiens à remercier Michèle Detaille pour son engagement exemplaire et son franc-parler au cours des 5 années de sa présidence. Ces années ont été marquées par un très grand engagement. Un engagement en faveur de la cause industrielle, certes, mais bien au-delà, un engagement en faveur de l’entrepreneuriat et du développement économique de notre pays.
Ce changement se fera dans la continuité. Le conseil d’administration et toute l’équipe de la FEDIL continueront d’œuvrer pour défendre avec détermination les intérêts de l’industrie et ses entreprises. Mais je compte aussi sur la participation de toutes nos entreprises membres : Rejoignez nos plateformes de rencontre, nos groupes de travail thématiques et nos événements de networking pour partager vos expériences et vos bonnes pratiques et pour recevoir par la même occasion des informations expertes et précieuses au développement de vos activités.