L’importance des administrations ne saurait être niée, alors qu’elles font fonction de charnière entre les décisions politiques du Parlement et du Gouvernement et leur application à l’égard du citoyen et de l’entreprise, en veillant à l’égalité de tous devant la loi. Loin de « l’Obrigkeitsstaat » du passé, elles se caractérisent comme prestataires de services publics. En Angleterre, le fonctionnaire s’appelle « civil servant », ce qui correspond exactement à sa vocation actuelle : les services publics sont des services au public et aux entreprises, qui sont les seuls créateurs de richesse. Face à l’hétérogénéité de la population du pays, le langage administratif, imprégné d’un juridisme excessif destiné par le passé à exprimer la dominance du Pouvoir, gagne à être simplifié dans la phase précontentieuse pour que le message véhiculé puisse être compris par le commun des mortels. Ceci est surtout nécessaire, comme chaque personne physique et morale est soumise à des relations avec plusieurs services publics, s’exprimant tous avec une terminologie spécifique et toujours plus complexe1. Le bon fonctionnement de l’État constitue un facteur majeur de la compétitivité du pays. La mutation vers une relation entre des parties se situant au même niveau, trouve son expression dans l’État de droit et le renforcement progressif des normes nationales et européennes de protection du particulier à l’égard de l’action de l’État et des communes.

Dans un contexte de digitalisation et d’internationalisation d’une économie de services comme au Luxembourg, les administrations se doivent d’être à la hauteur des défis du 21e siècle, car les dossiers augmentent nettement en nombre et en complexité. La seule réponse à cette évolution ne saurait consister à engager une pléthore de nouveaux agents, mais à travailler sur l’organisation, la gestion par objectifs avec des indicateurs KPI, la formation et le coaching des agents, les procédures et la digitalisation. (À mon avis, certaines administrations disposent déjà actuellement de trop de personnel). Même s’il n’est pas concurrencé dans son domaine d’action, la qualité de la prestation du service public se doit de susciter constamment l’acceptation des acteurs privés, au risque d’ébranler la confiance dans l’État et la démocratie2.

À une époque où les faits juridiques et opérations économiques évoluent à une cadence effrénée, il faut regretter dans la procédure législative que de plus en plus de mesures nationales soient érigées depuis peu par nos institutions – dans le moindre détail – en « matière réservée à la loi », procédure particulièrement lourde par rapport aux besoins actuels et à la flexibilité de l’adoption des règlements d’exécution, qui semblent voués à devenir une source de droit d’exception.

Quelles sont maintenant les caractéristiques du fonctionnement d’une administration au 21e siècle ?

  1. La grande majorité des citoyens et entreprises sont honnêtes, ou ont l’intention d’être honnêtes, mais n’y parviennent pas pour différentes raisons. D’où le besoin de promouvoir la « voluntary compliance » par un meilleur service : une information compréhensible sous différents supports, l’utilisation de « chatbots » sur Internet, l’accessibilité directe de l’agent en charge du dossier, la politesse dans la communication, des déclarations préremplies moyennant la mise en œuvre du principe du « once only »3 etc. Cette catégorie de clients nécessite moins de contrôles alors que l’égalité devant la loi ne veut pas dire que tous les dossiers soient contrôlés chaque année de la même façon, c.à.d. moyennement. À l’AED4, il s’agit du public-cible des impositions automatiques en matière de TVA.
  2. S’il y a risque de fraude : initier le volet répressif moyennant une analyse de risques. Une analyse de risques performante (prochainement, avec le support de l’intelligence artificielle) nécessite une plénitude de données, issues de la coopération nationale et internationale. L’État ne constituant qu’une seule personnalité juridique malgré ses subdivisions internes, l’AED a réussi progressivement à instaurer par la voie légale un échange de données avec un nombre appréciable d’autres autorités nationales, dont les données sont rassemblées à des fins de contrôle informatisé pour concentrer ses efforts sur l’essentiel. S’y ajoutent les informations issues des réseaux communautaires. Ces échanges se font en concordance avec la règlementation communautaire sur la protection des données, qui ne saurait protéger les fraudeurs, mais les acteurs honnêtes. Cela a permis de démanteler les silos internes au sein de l’État. Dans les cas les plus graves, les fraudeurs font partie de la criminalité organisée qui commettent en parallèle différentes infractions dans différents pays (fraude fiscale et sociale, blanchiment, vente de drogues et d’autres produits prohibés, travail au noir, traite d’êtres humains…). Ces faits constituent une distorsion de concurrence grave par rapport à l’entreprise honnête et il faut se donner les moyens pour être à même d’agir efficacement contre les auteurs. Comme cela existe dans nos pays voisins et à l’instar de l’ADA5, j’estime donc indispensable de doter les meilleurs contrôleurs de l’ACD6 et de l’AED de la qualité d’Officier de Police judiciaire (OPJ) afin de pouvoir agir directement pour le compte du Parquet7 et de collaborer avec la Police judiciaire.
  3. Le fonctionnement et l’organisation de l’État, datant en grande partie de l’ère de l’indépendance du pays, se doivent d’être repensés. En premier lieu, on devrait abolir les carrières des fonctionnaires, qui constituent de véritables castes aux droits acquis. Je propose en lieu et place d’engager chaque agent au niveau de traitement qui correspond à sa formation initiale et de coupler ses avancements ultérieurs par rapport à son engagement, à ses compétences et aux progrès accomplis dans les fonctions lui assignées dans la description de fonctions8. Ces évaluations se feraient bien entendu de manière objective par la direction, avec possibilité de recours devant le Ministre de tutelle, mais il est clair, après la chute du communisme en Europe, qu’à défaut d’efforts, les promotions ne sauraient plus tomber automatiquement. Sans lien avec la rémunération, la gestion par objectifs ne donne, en effet, peu de sens. Tout comme dans le secteur privé, la méritocratie constitue donc un facteur important pour progresser. Comme, d’une part, le travail est de plus en plus caractérisé par la spécialisation des tâches et, d’autre part, l’action de l’administration nationale s’inscrit dans l’espace géographique de la Grande Région, il est nécessaire de pouvoir recruter, de façon générale, des ressortissants communautaires afin de garantir la qualité du service public et de mettre fin à la ségrégation du marché de travail. Dernièrement, il faudrait aplanir les hiérarchies afin d’inciter à la prise de décisions plus rapides et aussi proches que possibles du citoyen et de l’entreprise.

Toutes ces propositions ont pour objectif de passer d’une culture principalement réactive, guidée par le « dat hu mer nach emmer esou gemat » vers une approche préventive et collaborative, mettant la qualité du service à l’usager, moyennant e.a. l’utilisation des technologies nouvelles, au centre de nos préoccupations.

  1. ACD, AED, CCSS, ITM, ADEM, CNAP, STATEC ….;
  2. Cf https://ralph-brinkhaus.de/100-vorschlaege-fuer-den-neustaat/, p.1;
  3. projet de loi no. 8395;
  4. l’Administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA ;
  5. l’Administration des Douanes et Accises ;
  6. l’Administration des Contributions directes ;
  7. Une première tentative a échoué en 2008 dans le cadre du projet de loi no. 5757 sur la coopération interadministrative ;
  8. Cf « NEUSTAAT – Politik und Staat müssen sich ändern” édition FBV, 2020, par Thomas Heilmann et Nadine Schön, p. 224 et 225: exemple de la Bavière.