Si au total près de 86.000 Belges franchissent les frontières pour travailler en France, aux Pays-Bas et en Allemagne, c’est vers le Grand-Duché que près de la moitié partent travailler.

C’est dire toute l’importance que représente ce poumon économique avec ses avantages évidents, ses effets socio-économiques et ceux plus problématiques, notamment en matière de mobilité, de pénurie de main d’oeuvre et d’évolution du marché immobilier.

Les emplois proposés sont de qualités et, à rémunérations brutes égales, la fiscalité et la sécurité sociale permettent de conférer à nos travailleurs frontaliers, un niveau de vie extrêmement intéressant, via un pouvoir d’achat vitaminé. Cette attractivité a attiré dans le sud-Luxembourg des familles de jeunes diplômés, avec charges de famille très jeunes également, ce qui a dynamisé le territoire, l’a fait évoluer par une démographie ascendante et un niveau socio-culturel-intellectuel renforcé.

Cela a bien évidemment installé un flux de déplacements important se traduisant par une mobilité ralentie comme à l’approche ou à la sortie de toutes les grandes métropoles. Ici, la mobilité est à la fois contrainte du quotidien et force motrice d’une Grande Région en perpétuelle transformation. Des efforts dans le domaine ferroviaire ou de mobilité collective, ainsi que dans l’organisation des stationnements seraient de nature à améliorer les choses, le travail est en cours et se poursuit activement actuellement.

Cette attractivité a également accentué la pénurie de personnel qui, si elle est généralisée dans nos pays occidentaux, peut connaître des varations liées à la différence de revenus nets. Les différences de 30 à 40% selon les secteurs, rendent difficile la rétention des cerveaux et de la main-d’œuvre, notamment dans des secteurs déjà sous tension des soins de santé. Le constat y est sans appel : notre province ne parvient plus à fidéliser ses infirmières. La pénurie y atteint un niveau tel qu’on ne trouve plus assez de personnel pour assurer les soins à domicile. Rien que chez Vivalia, 481 postes sont impactés par le départ de frontaliers, dont une majorité d’infirmières, tiraillées entre vocation et salaire. Les collectivités locales, elles, s’accrochent vaillamment pour inverser la tendance.

Cette hémorragie de personnel, alimentée par l’attractivité grandissante des régions voisines, a un coût humain et social pour nos familles. L’amélioration des flux entre nos services de soins, comme c’est le cas avec la France et les ZOAST ( zones d’accès aux soins transfrontaliers) installées, dont une, enfin, récemment avec le Grand-Duché, pourraient permettre une rationalisation positive et un niveau de soins de qualité ascendant, pour toute la zone. À condition que la réciprocité s’installe réellement, que les forces centripète et centrifuge s’équilibrent… Ce n’est pas toujours le cas, mais des frémissements d’évolution s’installent.

L’organisation du travail, dopée notamment par la période Covid qui en a renforcé les évolutions techniques, a généralisé le télétravail et… multiplié les complications fiscales ! Faut-il se réjouir qu’un télétravailleur frontalier puisse enfin prendre son café chez lui ? Oui. Faut-il craindre qu’il risque de payer ses impôts sur un mois entier dans un autre pays à cause d’un jour télétravaillé de trop ? Malheureusement
( en tout cas pour les belges, c’est différent pour les français). La réglementation actuelle, avec des quotas de jours dérogatoires par pays (34 pour le Luxembourg et la France contre 45 pour l’Allemagne), manque cruellement d’homogénéité et ralentit la flexibilité nécessaire aux entreprises. Lors de la présidence belge de l’UE , une tentative a eu lieu pour essayer d’harmoniser les règles entre tous les pays concernés, dans la ligne des recommandations Bénélux par exemple en ce qui nous concerne. Faute d’accord ( cela devient pathétiquement habituel en UE), le dossier a été envoyé à l’OCDE pour inspiration et propositions. On en annonce l’issue prochaine. Même si les relations historiques de l’UEBL sont particulières à plusieurs égards et nous serviraient le cas échéant de protection, on peut espérer une évolution claire, positive et harmonisée si tous les Etats s’y rallient. En ce qui me concerne après avoir obtenu le passage de 24 à 34 jours je travaille à passer à 48 ou 50 ( 25% du temps de travail) soutenu en ce sens par l’UEL et par une approche positive des ministres luxembourgeois de l’économie et des finances. Le côté ardu se situe , comme d’habitude, dans l’administration fiscale belge qui y voit une perte de souveraineté.

Un effet positif complémentaire du travail frontalier réside évidemment dans le fonds de compensation au profit des communes frontalières qui y trouvent une compensation à la perte d’additionnels communaux, et donc des moyens de leurs ambitions au service de tous.

Un effet négatif est bien sûr le renchérissement du marché immobilier, qui en a enrichi certains, mais qui diminue l’accès au logement de beaucoup d’autres, tant comme propriétaires que comme locataires. Des initiatives européennes récentes se sont fait jour sous l’appellation « Vers un plan européen pour des logements abordables » qui pourraient contribuer à améliorer la situation et éviter une migration vers des régions moins coûteuses.

Initiatives parlementaires et pistes pour demain

À la Chambre, mon engagement est constant pour pousser une convergence fiscale ambitieuse et favoriser la mobilité, le dialogue social et la reconnaissance du statut spécifique des travailleurs frontaliers. Plusieurs de mes interventions ont porté sur :

  • La simplification et l’harmonisation des quotas de télétravail afin d’éviter discriminations et incertitudes.
  • La reconnaissance des contraintes spécifiques de certaines professions (astreintes, gardes, etc.).
  • L’appel à des conventions multilatérales lors de la présidence belge de l’UE pour mettre fin à la jungle fiscale qui pénalise nos talents et nos entreprises.

Le chemin vers une véritable zone économique transfrontalière intégrée passe par davantage de coopération, mais aussi par un engagement renouvelé pour relever ensemble les défis liés à l’attractivité, l’équilibre social et la performance environnementale.

Osons mettre en place des systèmes de formation partagée, des incitants à la mobilité durable (covoiturage, transport public) et une meilleure reconnaissance des acquis de l’expérience, quelle que soit la frontière franchie le matin. La province du Luxembourg ne doit pas devenir la victime collatérale d’une compétition mal régulée mais la vitrine d’un modèle d’intégration réussi, à la fois exemplaire et dynamique. A cet égard le volet outil spatial (ESA Redu) et de la cybersécurité quantique (Galaxia Transinne) sont de nature à nos deux Etats de devenir leaders européens au minimum.

Face à la concurrence, sapée par des fiscalités désalignées et des salaires contrastés, la Belgique doit :

  • Accélérer la convergence des règles fiscales et sociales pour uniformiser les jours de télétravail autorisés.
  • Créer davantage de passerelles de formation et de reconnaissance mutuelle des qualifications, pour mieux équilibrer l’offre et la demande en soins, services et industrie.
  • Renforcer la mobilité durable grâce à des investissements communs.
  • Poursuivre, comme je m’y engage, des initiatives parlementaires pour une vraie sécurité juridique des frontaliers et le respect de l’équité fiscale.

Dans le cadre du retour au conseil d’administration des CFL, je mettrai tout en œuvre du côté belge avec Infrabel et la SNCB pour redonner une substance à une mobilité de qualité.