Le nouveau jour férié a eu lieu le 9 mai.

Cette « avancée sociale » constitue une réponse simpliste à une problématique complexe : la réduction du temps de travail. Je m’explique : cette mesure mérite le qualificatif de populiste puisqu’une des caractéristiques du populisme du 21ième siècle est d’apporter des réponses simplistes à des questions compliquées.

L’évolution continue du droit du travail est une nécessité pour chaque économie et le Luxembourg n’échappe pas à cette réalité. Le 9 mai a été consacré par une loi et constitue donc un changement parmi d’autres au niveau du droit du travail. Il est important d’aller à l’essentiel et d’identifier directement la plus importante des mutations en cours en Europe. Chaque économie ne peut se développer que si elle a accès à une main-d’œuvre de qualité et en nombre suffisant. La crise démographique qui touche de nombreux pays européens représente aujourd’hui un défi majeur. Le continent européen est le seul continent à l’échelle mondiale qui verra sa population fortement vieillir et stagner à un horizon de trente à quarante ans. Ceci aura pour conséquence de déclencher une guerre des talents. Chaque territoire en croissance devra présenter des arguments de qualité afin d’attirer une main-d’œuvre qualifiée. Cette pénurie de main-d’œuvre est aujourd’hui devenue une réalité en Europe et bien sûr au Luxembourg. Cet état de fait pèse évidemment sur le potentiel de développement des entreprises, mais également du secteur public.

S’y ajoute un deuxième élément. Dans de nombreux pays européens, les enjeux du débat social se sont en partie déplacés vers des questions que je définirais comme les choix opérés par les salariés en matière de gestion du temps et du lieu de travail. L’enjeu principal n’est plus exclusivement la question du partage de la valeur ajoutée engendrée par l’activité économique. La gestion différenciée du temps est une problématique différente de la réduction du temps de travail. Cette dernière constitue une des grandes revendications et il faut le souligner, une des grandes victoires du mouvement syndical. En 2019, une personne travaillant au Luxembourg travaillera 1.700 heures sur l’année . En 1910, ce chiffre aurait été de 3.400 heures . Nous parlons d’une diminution de 50 %. D’autres acquis sociaux ont accompagné cette réduction du temps de travail au cours des dernières cent années. Ces avancées sociales qui étaient autant nécessaires que justes en 1919, 1950 ou 1990, me semblent avoir permis aux salariés d’accéder à un socle social qui place le Luxembourg dans le peloton de tête européen, et de facto mondial.

Cette gestion du temps et du lieu de travail par le salarié en fonction de ses priorités représente une nouvelle réalité à laquelle les entreprises doivent pouvoir répondre. Cette autonomie accrue pour nombre de salariés est une conséquence directe de l’inversion du rapport de forces entre le capital et le salariat. Historiquement le capitalisme s’est développé en recourant premièrement et en quantité réduite à des personnes qualifiées pour concevoir de la technologie et construire des machines, et puis deuxièmement à une main-d’œuvre non qualifiée, vidant pour ainsi dire les campagnes pour remplir des villes. En simplifiant, le capital nécessitait peu de cerveaux et beaucoup de bras. 100 ans plus tard, les bras ont été remplacés en grande partie par des robots. De leur côté, les salariés ont en partie – et cette partie représente aujourd’hui dans ce pays 80 % du salariat – pu établir des relations plus équilibrées avec leur employeur. Le lien de subordination subsiste, mais dans un contexte de pénurie de talents, celui ou celle qui peut se prévaloir des qualifications nécessaires se retrouve dans une situation de négociation favorable. C’est ce que j’entends par l’inversion du rapport de forces entre le capital et le salariat.

Forts de cette nouvelle réalité, les salariés sollicitent aujourd’hui des droits qui leur permettent de concilier leur vie professionnelle et privée. L’Europe (Directive 2017/0085) s’est emparée de ce sujet et s’efforce de constituer une base plus homogène de droits pour les salariés et ceci dans tous les États membres de l’Union. Divers droits se verront confirmés par un acquis communautaire. Le congé de paternité de 10 jours pour les pères, le congé parental et le droit au temps partiel liés à des seuils d’âges d’enfants ou de membres de la famille nécessitant une présence, sont des exemples concrets de cette politique.

Le gouvernement Bettel 1 avait pris les devants en introduisant certains de ces droits ou en rendant plus attractives des dispositions légales existantes. Le succès est indéniable si on mesure le succès en termes de nombre de personnes recourant à leur droit au congé parental par exemple. De nouvelles dispositions sont prévues dans l’accord gouvernemental Bettel 2 ; des dispositions qui vont à nouveau augmenter les droits des salariés en vue de travailler en fonction de leurs besoins.

Force est de constater que l’évolution du droit du travail au Luxembourg n’a pas pris en considération le nouvel équilibre entre le capital et le salariat. Néanmoins, en tenant compte du contexte de pénurie de main-d’oeuvre et de l’inflation des droits absolus des salariés, les entreprises nécessiteront des aménagements législatifs touchant le droit du travail afin de pouvoir répondre aux contraintes précitées dans un contexte économique volatil et marqué par des changements technologiques profonds. Adapter les heures de travail à la charge de travail et non l’inverse me semble une revendication légitime des entreprises. La flexibilité n’est pas une notion unilatérale ; elle ne peut être une notion positive quand elle est mise dans le contexte de la vie des salariés et à l’inverse constituer un concept rétrograde et ultra-libéral quand il s’applique à l’organisation des entreprises.
L’action politique doit veiller à concilier les demandes légitimes des salariés et des entreprises.

Tout est équilibre et cet équilibre est fragile. J’admets tout à fait que ces droits supplémentaires pour des salariés augmentent l’attractivité de notre territoire (le Luxembourg et les régions voisines) afin d’attirer cette main-d’oeuvre. Encore faut-il considérer que l’étendue de ces droits devrait être proche des droits existant chez nos concurrents. La surenchère a non seulement un coût, mais elle ne fait qu’accentuer le défi des entreprises à faire face à la pénurie de main-d’œuvre et surtout à s’organiser dans un contexte où les salariés sont présents de façon de plus en plus aléatoire sur leur lieu de travail.

Les entreprises se doivent d’accepter cette tendance libérale qui consiste à pourvoir l’individu de droits de plus en plus étendus. Le principe fondateur du libéralisme est de placer l’individu au-dessus de toute forme de structure comme par exemple la famille, une communauté religieuse, la nation et finalement aujourd’hui l’entreprise. Toutes ces structures ont en commun le fait qu’elles représentent des espaces d‘échange de solidarité entre les individus. L’entreprise est un lieu éminemment social – lieu qui rend l’ascension sociale possible et qui permet aux personnes de dépasser leurs conditions d’origine. Cette ascension ne s’effectue pas en vase clos, mais avec les autres au sein de l’entreprise – avec et grâce aux autres. Cet espace de solidarité qu’est l’entreprise mérite d’être préservé et protégé. Un étudiant qui vient en stage ou en apprentissage a l’opportunité de bénéficier d’un échange d’expérience, une personne en congé parental fractionné bénéficie de la solidarité de ses collègues qui interviennent en son absence, un employé senior partage ses connaissances et son savoir-faire en fonction des besoins de l’entreprise, tout en étant à disposition d’une organisation caritative par exemple en tant que bénévole quand l’activité requiert moins de disponibilité …

Ce constat permet d’expliquer pourquoi le droit du travail devrait également évoluer afin de permettre aux entreprises de demeurer des espaces d’efficacités et d’efficiences dans le but d’engendrer des potentialités de solidarité entre les individus qui les composent et la société dans son ensemble.

Nul ne devrait sous-estimer l’impact de l’effet combiné de ces mesures sur nos PME qui représentent la base de notre économie. Il revient à l’UEL (Union des Entreprises Luxembourgeoises) de sensibiliser nos gouvernants à réfléchir à des changements législatifs qui aideront les PME à s’organiser dans le cadre d’absences de leurs salariés, absences rendues possibles par les mesures en question. Il y a une relation de cause à effet qui devrait délimiter l’espace ou le cadre d’application des mesures que nous préconiserons. Et si personne ne se plaindra d’un jour férié supplémentaire, cela ne doit pas nous faire oublier que cela a un coût ; coût qui sera porté par l’ensemble de la société – de manière directe, mais aussi avec des répercussions indirectes qui nous toucheront tous.