Rattacher l’école à l’économie n’est pas chose facile. Les entreprises font l’objet de bien des préjugés, chez les enseignants, les parents et les élèves. Concurrence, stress, exploitation, injustice, inculture, autant d’associations négatives, employées pour préserver l’école de trop d’économie réelle, susceptible de l’instrumentaliser et de la détourner de ses missions.
Certes, l’école doit préparer à la vie, mais un ordre s’est établi, très strict et très problématique, partant de la prémisse qu’avant la pratique, il faut la théorie, avant la formation, la culture générale, avant l’instrument, le solfège. La logique du « il faut d’abord » est largement répandue. Le comble consiste à croire qu’avant l’apprentissage, il faut d’abord… l’enseignement, pire encore, que pour apprendre, il faut passer par l’enseignement. Rien n’est plus faux, comment sinon nous aurions appris tout ce que nous avons appris avant l’école, en dehors de l’école et malgré l’école, par nécessité, par volonté ou par intérêt, mais aussi à mesure des talents et des opportunités.
L’école, hélas, a du mal à dépasser l’enseignement pur et dur. Elle se définit toujours par des cours, préparés, programmés, évalués. Elle se veut de plus en plus juste. Afin que tout le monde ait les mêmes chances, elle ne veut rien savoir des capacités et des performances qui n’ont pas fait l’objet d’un enseignement. En réservant le même traitement à tous, elle confond justice et égalité, et passe à côté de toute la diversité des talents et des ambitions personnelles des jeunes gens.
Cela n’empêche qu’elle donne le la de toutes les carrières. C’est du moins ce qu’elle prétend et son monopole est très largement reconnu. La politique redouble d’efforts et de moyens pour donner toujours plus de chances et de moyens à tous les élèves. L’inflation des diplômes en est la conséquence logique. La durée des études ne cesse de croître. L’entrée sur le marché de l’emploi se fait de plus en plus tard. Comment l’école peut-elle « préparer à la vie » sous ces conditions-là ? La chance qu’elle arrive à dépasser l’enseignement et le traitement égalitaire s’éloigne. Certes, les initiatives pour valoriser l’engagement personnel, l’esprit d’entreprise, la créativité et l’inventivité, se multiplient. Mais elles restent en marge de l’école et n’affectent pas son ADN, qui reste théorique, général, artificiel, abstrait, négatif. Pourquoi négatif ? Parce que ce fonctionnement se situe aux antipodes d’une exploitation positive des ressources humaines présentes. En restant toujours plus longtemps dans la transmission et dans la reproduction, elle reporte et reporte la production, la participation, l’engagement, correspondant pourtant beaucoup plus aux envies naturellement présentes parmi la jeunesse. Or, ces envies ne durent pas indéfiniment. Il ne faut pas s’étonner que de toutes ces années d’études, de stages, d’orientation et de réorientation, les jeunes gens sortent de plus en plus passifs, plus habitués à consommer qu’à s’engager, plus habitués à attendre qu’à aller de l’avant, plus habitués à subir qu’à se plaire à se lancer dans une tâche qui convient à leurs capacités, leurs ambitions, leurs intérêts, leurs passions, leur caractère.
L’école ne procède-t-elle pas de manière foncièrement anti-économique ? Or, ne faut-il pas aujourd’hui plus que jamais recourir à l’inventivité innocente des jeunes pour trouver des solutions nouvelles aux problèmes environnementaux, mais aussi des manières originales, libératrices, positives, de profiter de l’automatisation et de la digitalisation ?
Il faut battre le fer quand il est chaud. Inventons une éducation positive, opportuniste, réaliste, pragmatique. L’école dans le sens étroit du terme doit en faire partie. Pas de pratique sans théorie. Mais surtout pas de théorie sans pratique. Il est urgent de compléter la théorie par de vraies expériences entrepreneuriales continues, afin que les jeunes se frottent aux réalités, aux exigences et aux opportunités, du marché, de la société, du monde qui les attend.
Cette entreprise d’ouverture de l’école, de décomplexification, de renouvellement, ce ne seront pas les seuls professionnels de l’éducation qui pourront la mener. Qu’ils continuent à s’occuper des bases et de la réflexion, c’est vital. Mais que d’autres professionnels installent dans une école élargie des structures entrepreneuriales concentrées sur une production de qualité et sur la création d’une plusvalue, où les bases théoriques prennent sens et où la réflexion contribue à donner à l’économie des tournures responsables et éclairées, mais surtout où les élèves se spécialisent et acquièrent, peu à peu, de l’expertise et de l’expérience. Marier l’école et l’économie, la réflexion et l’action, quoi de plus désirable ?