700 millions d’euros – 696,4 millions pour être précis – tel n’est pas le coût de la réalisation du premier tronçon du tram – qui a été moindre – ni celui de la route du Nord – qui a coûté peu ou prou cette somme alors que son dérapage budgétaire a fait couler beaucoup d’encre. Il s’agit du coût direct de l’absentéisme pour cause de maladie. En une seule année, en 2018. Ce coût a progressé de 12,6% en un an, soit deux fois plus vite que la masse cotisable. Rapporté à la richesse produite sur notre sol en 2018, le PIB, cette perte directe représente 1,2 point de pourcentage.

La seule « douloureuse » présentée aux entreprises (continuation du salaire ou « Lohnfortzahlung » en bon germanisme luxembourgeois) a dépassé le demi-milliard en 2018 (535 millions), soit 77% du coût direct. Peut-être une explication forte quant au manque de rentabilité, à l’érosion des marges et à la stagnation de la productivité observée dans le secteur marchand ? En tout cas, côté productivité, les « années 10 » sont en passe de se muer en décennie perdue, avec une mince évolution cumulée de 2% entre 2010 et 2018 pour la productivité horaire du travail. Pas encore convaincu ? Et si je vous disais que 2% de la rémunération totale payée par nos entreprises correspond à des heures absentes ? Et encore un détail : les périodes relatives à la maternité et aux accidents de travail sont écartées des chiffres.

Autant dire qu’il s’agit d’un chiffre prodigieux… mais largement sous-estimé ! Car le coût direct – à savoir la continuation de la rémunération à charge des entreprises (13 premières semaines) ainsi que les indemnités versées par la CNS – est encore marginal par rapport au vrai coût économique: coût de productivité suite à la désorganisation des services, avec à la clé une surcharge de travail, des coûts psychologiques et des heures supplémentaires par ailleurs, ainsi qu’un possible recours à du personnel intérimaire, coûts commerciaux avec des commandes retardées voire non-honorées et j’en passe. L’absentéisme – défini de façon
assez rébarbative comme étant le « rapport entre le nombre total de jours civils de maladie de tous les individus et le nombre total de jours civils correspondant à la somme des durées pendant lesquelles ils ont exercé une occupation » – est un vrai casse-tête et un phénomène trop banalisé.

L’inactivité plus « visible », à savoir le chômage indemnisé aura coûté 282 millions EUR en 2018 au Fonds pour l’emploi. En multipliant ce chiffre par 2,5, nous retrouvons le coût direct de l’absentéisme. La Fondation IDEA avait cité des études estimant que les coûts indirects des accidents de travail – ratios que nous pourrons appliquer à l’absentéisme – dépassent le coût direct par un facteur 2 à 4,5. Le coût économique et sociétal – coût directs liés aux absences, coûts commerciaux, coûts de gestion, coûts administratifs, etc. – de l’absentéisme a donc très bien pu atteindre entre 1,5 et 3 milliards EUR en 2018. En appliquant le taux de 77% à charge des entreprises observé en 2018, le coût pharamineux pour celles-ci aura très bien pu atteindre entre 1 et 2,4 milliards, ou bien entre 2 et 4% de la valeur ajoutée en 2018.

Le taux d’absentéisme a atteint 3,88 % en 2018. En 2018, les salariés ont été absents plus souvent (2,7 « épisodes » en 2018, avec de larges différences sectorielles : 3,4 épisodes pour le secteur « Administration publique, enseignement » – absences qui ont duré 6,1 jours en moyenne – contre 2,27 pour l’hébergement et la restauration – 12 jours en moyenne) mais moins longtemps (environ 8 jours en moyenne). Le taux est logiquement et positivement corrélé à l’âge (5% pour les 50 ans et plus contre 3% pour les moins de 30 ans) et celui des frontaliers (4,2%) dépasse celui des résidents (3,6%), ce qui s’explique sans doute par une surexposition des non-résidents dans les secteurs d’activités les plus concernés par l’absentéisme, comme les secteurs de la santé et action sociale (5,1%), l’industrie (4,5%) ou encore la construction (4,5%). Le secteur qui recense le moins d’absents est celui des technologies de l’information et de la communication (2,3%). 71% de tous les salariés de la branche « santé et action sociale » ont été absents pour maladie en 2018, contre 43% pour le secteur «activités de services administratifs et de soutien ». Des divergences qui donnent à penser et qui pourraient aider à prioriser les actions.

Sachant que le vieillissement progresse (l’âge médian du salarié résidant ayant augmenté de 4 années en 25 ans, et celui des frontaliers même de 8 ans) et au vu de la corrélation positive évoquée plus haut, autant dire que le phénomène ne s’estompera pas automatiquement ou naturellement.

Si bien évidemment nul ne conteste qu’un salarié malade l’est de bonne foi et doit d’abord se soigner, il semble néanmoins que la mesure du phénomène ne soit pas nécessairement appréhendée et son coût sociétal et économique largement sous-estimé. Qu’attendons-nous pour prendre la mesure du phénomène, dans le cadre d’une feuille de route ambitieuse ? Je suis actuellement absent du bureau.