La paix sociale, pilier fondamental des relations collectives, ne saurait exister sans un dialogue social authentique. Au cœur de ce dialogue, la négociation collective s’impose comme un levier essentiel, aboutissant parfois à la conclusion de conventions collectives de travail (CCT). Par cet instrument, représentants syndicaux et employeurs définissent ensemble le cadre collectif des conditions de travail applicables à l’entreprise ou au secteur concerné.

Cependant, il arrive que des dispositions de la CCT ne soient pas très claires ou que des contestations naissent de son exécution d’où l’article L. 162-13 (1) du Code du travail qui prévoit que : « Les demandes en interprétation des conventions collectives de travail et des accords subordonnés conclus en application de l’article L. 162-7 relèvent de la compétence des juridictions du travail. Il en est de même des contestations nées de leur exécution. »

L’arrêt1 faisant l’objet de cette chronique tire sa base dans cet article alors que l’un des syndicats ayant participé aux négociations collectives ayant abouti à la conclusion de la CCT visée a saisi le Tribunal du travail en vue de l’interprétation de deux dispositions de la convention notamment celle relative à la gratification collective et celle concernant les congés individuels. N’étant pas satisfait du jugement du Tribunal du travail ayant déclaré la demande non fondée, le syndicat a fait appel de cette décision.

Pour le syndicat, la disposition concernant la gratification collective doit être interprétée de deux manières à savoir d’une part, que cette gratification ne doit pas être proratisée ou déterminée de manière différente pour les salariés travaillant à temps partiel et d’autre part, que les absences pour cause de congé pour raisons familiales ne doivent pas être considérées comme des absences pouvant influer sur la détermination de la partie variable de la gratification.

Avant d’apporter une réponse à la demande d’interprétation, la Cour d’appel a tenu à rappeler la méthode utilisée pour interpréter les CCT dans la mesure où les parties étaient en opposition également sur ce point. Pour le Tribunal du travail saisi en première instance, « Il est de principe que lorsqu’une clause est obscure ou ambigüe, son interprétation devrait être faite en faveur du salarié. » (principe soutenu par le syndicat) alors que pour l’employeur, eu égard à l’article 1162 du Code civil « dans le doute, la convention s’interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l’obligation »
et qu’en l’espèce c’est l’employeur qui est la partie qui s’est obligée à payer une gratification collective à ses salariés. En s’appuyant de la jurisprudence française en la matière, la Cour a rejeté la méthode d’interprétation des CCT en faveur des salariés au motif que : « une convention collective si elle manque de clarté, doit être interprétée comme la loi c’est-à-dire en respectant la lettre du texte, ensuite en tenant compte d’un éventuel texte législatif, ayant le même objet, et en dernier lieu, en utilisant la méthode téléologique consistant à rechercher l’objectif social du texte. »

Sur la question de la gratification collective, la Cour en s’appuyant sur l’article L. 123-7 du Code du travail et sur la jurisprudence, rappelle que le principe en matière de salaire redû aux salariés travaillant à temps partiel est la proratisation du salaire redû aux salariés travaillant à temps plein en fonction du temps effectivement presté et que cela vaut aussi pour toute prime ayant le caractère de salaire, sauf disposition différente de la CCT ayant créé un avantage. En effet, « en cas de silence de l’accord collectif, la jurisprudence française retient que la solution de la proratisation doit être retenue pour une prime de nature conventionnelle lorsque l’accord d’entreprise ne comporte aucune disposition plus favorable accordant la prime entière aux salariés à temps partiel. Ce principe de proratisation vaut chaque fois que l’avantage est mesuré en volume de temps de travail. Par contre, dès lors que des primes prévues par un accord collectif présentent un caractère forfaitaire, elles doivent bénéficier intégralement aux salariés à temps partiel. »

Ce qui a eu pour conséquence en l’espèce que les salariés occupés à temps partiel se sont vu octroyer l’intégralité de la partie fixe de la gratification présentant un caractère forfaitaire tandis que la partie variable a été proratisée dans la mesure où la CCT ne contenait pas une disposition expresse prévoyant un régime plus favorable pour ces salariés.

Par ailleurs, la Cour d’appel a logiquement déclaré non fondée la demande en interprétation visant à exclure les absences pour congé pour raisons familiales dans la détermination de la partie variable de gratification collective. En effet, dès lors que ces absences sont assimilées à des incapacités de travail elles doivent également être prises en compte.

Quant aux congés individuels, la CCT prévoyait : « Tout personnel bénéficiant de 25 jours de congé se verra octroyer 4 heures de congé supplémentaires par an à partir de janvier 2018 pour la validité de la convention càd jusqu’au 30.06.2021. » Pour le syndicat, cette disposition signifie que chaque salarié bénéficiant de 25 jours de congé aurait dû, à partir de janvier 2018 et ce jusqu’en 2021 se voir octroyer annuellement et de manière cumulative 4 heures supplémentaires de congé en plus du jour de congé légal supplémentaire prévu par la loi du 25 avril 2019.

Le tribunal du travail et la Cour d’appel ont, à juste titre, une tout autre interprétation de cette disposition dans la mesure où les deux juridictions s’accordent pour dire que : « le texte de l’article 4 de l’addendum est clair et qu’il prévoit uniquement un avantage de 4 heures pour les salariés bénéficiant au moment de la signature de l’addendum de 25 jours de congé annuels payés, sans aucun effet cumulatif d’année en année pendant les quatre années d’application de l’addendum. Interpréter la disposition telle que revendiqué par [le syndicat] serait rajouter un avantage à celui concédé par la société aux termes de ladite disposition. […] L’entrée en vigueur de la loi du 25 avril 2019 a entraîné une absorption de l’avantage concédé par la société en ce qui concerne le congé annuel payé des salariés bénéficiant lors de la signature de l’addendum de 25 jours de congé annuel payés, le texte légal devenu plus favorable que la stipulation conventionnelle. Si les parties avaient entendu maintenir un avantage en ce sens, il aurait fallu qu’elles entament de nouvelles négociations à cet effet. »

Ce qui a pour conséquence que les salariés bénéficiant de 25 jours avant la signature de l’addendum se sont vu octroyer en tout et pour tout 1 jour de congé supplémentaire, celui prévu par la loi du 25 avril 2019 dans la mesure où la loi est plus favorable.

Cet arrêt présente un fort intérêt dans le contexte actuel où les syndicats revendiquent de plus en plus la signature de CCT. Si un accord est trouvé entre les parties à la négociation, il est important que le texte de la CCT soit clair et reflète les intentions réelles des parties.

Il est dès lors utile de rappeler qu’en tant qu’organisation d’employeurs au service de ses membres, la FEDIL accompagne ces derniers lorsqu’ils sont saisis d’une demande d’ouverture de négociations en vue de la conclusion d’une CCT afin de les guider au mieux dans les discussions.

Ella Gredie
Conseillère affaires juridiques et sociales auprès de la FEDIL