Le centenaire de l’Écho des entreprises est l’occasion pour nous de faire un retour dans le passé afin d’effectuer une étude comparative entre le droit du travail applicable de nos jours et les dispositions en vigueur en 1920.
Le sujet sur lequel nous avons décidé de nous pencher remonte au samedi 13 novembre 1920, date de parution du 14e Écho de l’Industrie [1]. Ce numéro abordait en effet la question des « Conseils d’usine » et plus précisément, il publiait le texte de l’arrêté grand-ducal du 8 octobre 1920, portant abrogation de l’arrêté grand-ducal du 26 juillet 1920 [2] concernant l’institution de conseils d’usine dans les établissements industriels.
Il suffit de lire les premières phrases de l’article 1er de l’arrêté grand-ducal du 8 octobre 1920 pour nous rendre compte que le terme de conseil d’usine utilisé à l’époque nous renvoie à une notion que nous connaissons de nos jours sous une autre dénomination. Ainsi, nous pouvons lire à l’article 1er :
« Dans toutes les entreprises industrielles occupant régulièrement 15 ouvriers au moins, il sera institué dans le mois de la mise en vigueur du présent arrêté resp. de l’ouverture ou la réouverture d’un établissement, un conseil d’usine permanent. Ce conseil a pour mission de cultiver l’entente entre les patrons et les ouvriers en réglant légalement les affaires communes. Les travaux du conseil et ses conférences avec la direction de l’établissement traiteront les questions relatives au bien matériel et moral des ouvriers ; ils auront égard notamment aux désirs et aux propositions concernant le contrat de travail, les institutions de l’établissement et celles de bien-être, les problèmes relatifs aux salaires et autres conditions de travail. »
Le conseil d’usine fait effectivement référence à la délégation du personnel dont l’instauration remonte ainsi à l’année 1919.
En se référant aux 23 articles de l’arrêté grand-ducal du 8 octobre 1920, force est de constater que des similitudes continuent d’exister après 100 ans. Ces similitudes se retrouvent entre autres, d’une part, au niveau du seuil à partir duquel le conseil d’usine, respectivement la délégation du personnel doit être instauré. Ainsi, le nombre de 15 [3] salariés n’a pas changé depuis 100 ans même si la terminologie a été modifiée en raison de l’instauration du statut unique [4]. D’autre part, le principe selon lequel la composition numérique de la délégation du personnel est fonction du nombre de salariés qu’elle représente était déjà applicable en 1920, respectivement en 1919. Il existe toutefois des changements quant au nombre maximal de membres la composant.
Effectivement, des changements considérables ont été opérés depuis lors à savoir entre autres :
- la dénomination;
- les entreprises dans lesquelles une telle entité doit être instituée. L’arrêté grand-ducal prévoit en effet qu’un conseil d’usine doit être institué dans les entreprises industrielles. Cependant le Code du travail prévoit aujourd’hui que la délégation du personnel existe dans toutes les entreprises peu importe la nature des activités, la forme juridique et le secteur d’activité à partir du moment où elle occupe au moins 15 salariés pendant les 12 mois précédant le 1er jour du mois de l’affichage annonçant les élections sociales;
- le nombre maximal de membres composant la délégation du personnel a été augmenté au fil du temps. Alors que l’arrêté grand-ducal de 1920 prévoyait un nombre maximal de 15 membres titulaires, de nos jours, la délégation du personnel se compose de 25 membres titulaires lorsque l’effectif des salariés est compris entre 5.101 et 5.500 et sa composition est augmentée d’un membre titulaire supplémentaire par tranche de 500 salariés lorsque l’effectif excède 5.500 salariés;
- l’âge minimal pour être électeur, respectivement pour se porter candidat a également été modifié. Ainsi en 1920, pouvait être électeur, l’ouvrier âgé de 18 ans au moins et pouvait être élu, l’ouvrier âgé de 21 ans au moins. Aujourd’hui, peuvent être électeurs et membres de la délégation du personnel, les salariés âgés respectivement de 16 ans et 18 ans;
- l’arrêté grand-ducal prévoyait à l’époque « un supplément de salaire supérieur de moitié au salaire convenu au contrat de travail » accordé aux membres du conseil d’usine « du chef des services ainsi rendus en dehors des heures de travail ». Cette disposition est obsolète dans la mesure où l’article L. 416-6 du Code du travail prévoit que « Les fonctions de délégué sont purement honorifiques », mais le temps nécessaire à l’exercice de leur fonction est indemnisé comme temps de travail. L’employeur prend toutefois à sa charge, les frais de séjour et de déplacement exposés par les membres de la délégation en relation directe avec leur mandat dans l’entreprise.
Néanmoins, en mars 1921 [5], soit 5 mois après l’entrée en vigueur de l’arrêté grand-ducal du 8 octobre 1920, les conseils d’usine ont été supprimés et les effets de l’arrêté grand-ducal provisoirement suspendus. Cette décision est la conséquence de la grande grève des ouvriers de mars 1921.
L’arrêté grand-ducal du 11 mars 1921 précise en effet dans son préambule que, dans la mesure où les conseils d’usine avaient été établis à titre d’essai dans les établissements industriels dans le but de cultiver l’entente entre les patrons et les ouvriers, dès lors que le but n’a pas été atteint « comme le prouvent les évènements des derniers jours et, plus spécialement, le rôle assumé par la plupart des conseils d’usine dans le récent mouvement ouvrier », il fallait donc prendre la décision de les supprimer.
Cependant, en 1925, un arrêté grand-ducal [6] a de nouveau admis l’institution de délégations ouvrières dans les entreprises industrielles. Depuis cette date, les délégations du personnel sont présentes dans les entreprises et ont pour mission tel qu’en 1919 de contribuer à la sauvegarde et à la défense des intérêts du personnel de l’entreprise en matière de conditions de travail, de sécurité de l’emploi et de statut social tout en privilégiant le dialogue social au niveau de l’entreprise.
[1] Aujourd’hui dénommé l’Écho des entreprises
[2] L’arrêté grand-ducal du 26 juillet 1920 (abrogé par l’arrêté grand-ducal du 8 octobre 1920) abrogeait déjà un arrêté grand-ducal du 26 avril 1919 concernant l’institution des conseils d’usine dans les entreprises industrielles (le 1er en la matière) [en ligne]
[3] http://legilux.public.lu/eli/etat/leg/agd/1920/07/26/n2/jo.
[4] Les 2 précédents arrêtés grand-ducaux du 26 avril 1919 et du 26 juillet 1920 indiquaient en revanche des seuils plus élevés à savoir respectivement, 50 ouvriers et 30 ouvriers.
[5] L’article 1er de l’arrêté grand-ducal du 8 octobre 1920 faisait référence aux ouvriers
alors qu’en raison du statut unique entré en vigueur le 1er janvier 2009, il a été mis fin à la distinction entre les employés privés et les ouvriers.
[6] Le terme de salarié est dorénavant utilisé pour les 2 anciennes catégories de travailleurs.