Dans une affaire très récente1, un salarié engagé en qualité d’homme à tout faire par contrat de travail du 1er mai 2015 a été licencié avec préavis le 28 juillet 2020. Il a soutenu que son employeur serait resté en défaut de lui régler l’entièreté des salaires entre janvier 2019 et novembre 2020 ainsi qu’un mois de salaire à titre d’indemnité de départ en vertu de son ancienneté supérieure à cinq ans. Or, l’employeur s’est prévalu dans ce contexte d’une dette de loyer et de taxes communales du salarié à son égard et d’un accord écrit du salarié pour retenir les sommes dues au titre du loyer et des taxes sur le salaire. En effet, l’employeur a donné en location à son salarié une maison contre le payement d’un loyer s’élevant à 900 €, du 1er mai 2016 au 31 décembre 2017, puis à 1.500 €, suivant contrat de bail conclu le 7 mars 2016. À la suite de retards conséquents dans le payement du loyer et des taxes communales, les parties ont décidé en janvier 2019 de signer un accord stipulant que les loyers (partiellement) et les taxes communales (dans leur intégralité) seraient déduits des salaires du salarié.

L’employeur a argumenté que le salarié n’aurait jamais remis en cause l’existence de cet accord ni protesté contre les déductions opérées par la suite pendant environ trois ans. Ce ne serait que dix mois après la résiliation du contrat de bail du 6 juillet 2021 par le fils de l’employeur, nouveau propriétaire de la maison initialement donnée en location au salarié, et après déguerpissement des lieux que le salarié aurait déposé une requête devant le tribunal du travail en vue de contester la validité de l’accord conclu entre les deux parties.

Aux termes de l’article L. 224-3. du Code du travail, il ne peut être fait de retenue par l’employeur sur les salaires que :

  1. du chef d’amendes encourues par le salarié en vertu de ce code, en vertu de la loi, en vertu de son statut ou en vertu du règlement d’ordre intérieur d’un établissement, régulièrement affiché ;
  2. du chef de réparation du dommage causé par la faute du salarié ;
  3. du chef de fournitures au salarié :
    1. d’outils ou d’instruments nécessaires au travail et de l’entretien de ceux-ci ;
    2. de matières ou de matérieux nécessaires au travail et dont les salariés ont la charge selon l’usage admis ou aux termes de leur engagement ;
  4. du chef d’avances faites en argent.

La Cour d’appel a retenu que « L’article L. 224-3. du Code du travail prévoit limitativement les hypothèses et les conditions dans lesquelles l’employeur peut opérer une retenue sur salaire.

Les dispositions légales susvisées, édictées dans un souci de protection du salarié, visent à lui assurer la disponibilité absolue de son salaire, sauf exception légale, et sont d’ordre public, de sorte que le salarié, lequel est placé sous la subordination de l’employeur, ne peut consentir valablement à une compensation conventionnelle entre sa rémunération et une créance de son employeur qui ne serait pas conforme au prescrit de l’article L. 224-3. du Code du travail (cf. Cour d’appel 13.12.2001, n° du rôle 24 692, 14.07.1994, n° du rôle 15 168 ; 09.06.1994, n° du rôle 14 190).

Il s’ensuit que la convention litigieuse qui prévoit la compensation entre la rémunération du salarié et les créances de son employeur et bailleur du chef de loyer et taxes communales, hypothèse non prévue par l’article L. 224-3. du Code du travail, n’est pas valable et que les retenues opérées en vertu de cette convention sont irrégulières et sujettes à restitution ».

Dans la mesure où un salarié peut même consentir à un avenant au contrat de travail en cas de modification d’une clause substantielle du contrat de travail en sa défaveur2, l’article du Code du travail concerné par l’affaire litigieuse est un bon exemple de la rigidité du Code du travail démontrant ainsi bien que certaines de ses dispositions sont dépassées par le temps. Effectivement, il convient de se poser la question pourquoi un salarié et son employeur, deux personnes dotées de la capacité juridique permettant de réaliser des actes juridiques, ne devraient pas pouvoir signer en toute légalité une convention comme dans le présent cas de figure. La FEDIL est consciente du fait qu’au vu du lien de subordination du salarié par rapport à son employeur certaines règles protectrices du salarié en droit du travail peuvent, selon la situation, être justifiées. Or, en l’espèce, le salarié était d’accord à ce que l’employeur lui retire certaines sommes d’argent (qui étaient parfaitement dues) sur ses salaires mensuels bruts. La FEDIL salue dans ce contexte l’initiative prévue dans l’accord de coalisation signé en novembre 2023 de moderniser le Code du travail afin de l’adapter aux nouvelles réalités des relations de travail, un exercice tant nécessaire pour les deux parties. Dans le cadre de cette modernisation, nous espérons que le retrait de certaines dispositions d’ordre public du Code du travail figurera également à l’ordre du jour.

Philippe Heck
Conseiller affaires juridiques et sociales auprès de la FEDIL