Dans le cadre de la relation de travail, l’employeur met à disposition de ses salariés du matériel (ordinateurs, téléphones portables, e-mails professionnels, etc.) afin que ces derniers puissent accomplir leur travail. Il arrive parfois que les salariés utilisent ces instruments leur remis pour des besoins professionnels à des fins privées.

Cependant, même si les outils mis à la disposition du salarié par l’employeur restent la propriété de ce dernier, le salarié a droit au respect de sa vie privée sur le lieu de travail, et cela inclut notamment le secret des correspondances.

Dans une récente affaire 1, un employeur a, en date du 21 février 2020, procédé au cours de la période d’essai au licenciement avec préavis de sa salariée, assorti d’une dispense de travail durant le préavis. Dans le but de poursuivre l’activité, l’ordinateur portable de la salariée dispensée de travail a été « préparé » afin de sauvegarder d’éventuels documents en relation avec le travail et de le « remettre à zéro ». Lors de cette manipulation, des messages racistes et injurieux envers des collègues et l’employeur envoyés par la salariée au moyen de l’application « WhatsApp » ont été découverts sur l’ordinateur mis à la disposition de cette dernière dans le cadre de la relation de travail. Néanmoins, dans la mesure où la salariée licenciée était enceinte et donc bénéficiait d’une protection contre le licenciement, cette dernière a demandé l’annulation de son licenciement et sa réintégration. L’employeur a tout de même procédé, en date du 23 mars 2020, à la mise à pied avec effet immédiat de la salariée sur la base des messages litigieux découverts.

Cependant, dans la mesure où les messages litigieux avaient été envoyés au moyen de l’application « WhatsApp » que la salariée avait installée sur son ordinateur professionnel, cette dernière était d’avis que ces messages devaient être écartés de la procédure, car l’employeur s’en serait procuré en violation de l’article L. 261-1. (1) du Code du travail. Cet article délimite en effet les contours du traitement des données à caractère personnel à des fins de surveillance dans le cadre des relations de travail. Dès lors, pour que le traitement de ces données à caractère personnel par l’employeur à des fins de surveillance soit considéré comme licite, il faudrait que ce traitement réponde aux conditions prévues par l’article 6, paragraphe 1er, lettres a) à f), du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (règlement général sur la protection des données (RGPD)).

Pour la salariée en effet, dans la mesure où ces messages ont été consultés dans l’application privée « WhatsApp » sans que l’employeur ne puisse le justifier par l’une des conditions de licéité du traitement prévues par l’article L. 261-1. (1), notamment le consentement de la salariée, il s’agirait de motifs et preuves illégaux de sorte que l’employeur ne peut s’en prévaloir pour justifier sa mise à pied, respectivement demander la résiliation du contrat de travail.

Le Tribunal du travail saisi de la demande de validation de la mise à pied avec effet immédiat et par voie de conséquence de la résiliation du contrat de travail avec effet immédiat a jugé que la mise à pied était injustifiée et l’annula. Il déclara ainsi la demande en résiliation du contrat de travail non fondée, partant il décida de la réintégration de la salariée. Pour statuer comme il l’a fait, le Tribunal du travail a indiqué que même si l’employeur n’avait pas exercé une surveillance prohibée par l’article L. 261-1. (1) du Code du travail, car le traitement n’a pas été fait à des fins de surveillance de la salariée, les messages privés, même affichés ou transmis par un ordinateur de la société gardaient leur nature privée. Le Tribunal conclut que : « le fait que l’application ait été visible ou accessible ne suffisait pas à démontrer une quelconque intention de la divulgation de la part de la salariée » et, ce en référence à deux arrêts 2 rendus par la Cour d’appel. Partant, il décida que l’employeur qui « aurait dû s’abstenir de prendre connaissance de messages couverts par le secret des correspondances ne pouvait se prévaloir de la communication « WhatsApp » affichée sur le poste de travail d’A pour justifier la mise à pied avec effet immédiat du 23 mars 2020 ».

La société a fait appel de cette décision. Selon la Cour d’appel : « Tel que mis en exergue par la juridiction de première instance, le droit de l’employeur de surveiller l’activité de ses salariés se voit limité par le respect de l’intimité de la vie privée du salarié dont font nécessairement partie les discussions échangées sur ou à partir d’une messagerie privée. Cependant en l’espèce, il est établi et non contesté par l’intimée que les messages litigieux ont été échangés sur l’ordinateur professionnel mis à sa disposition par son employeur, au moyen de l’application privée « WhatsApp »,
qu’elle avait décidé d’y connecter, alors que les messages échangés n’étaient pas spécifiquement identifiés comme relevant de son intimité personnelle et privée et qu’ils étaient librement accessibles. En laissant cet ordinateur allumé et non protégé par un mot de passe, permettant la lecture directe sur l’écran de certains des messages faisant partie de l’ensemble des échanges découverts, par la suite, A a nécessairement conféré à ces messages un caractère professionnel, non protégé par le secret des correspondances. Dans ce contexte, il est dès lors indifférent que l’intimée n’ait pas été présente lors de la découverte des messages en cause. […] Aucun élément du dossier ne permet par ailleurs de retenir qu’A aurait informé son employeur de la présence sur son ordinateur professionnel d’une messagerie qualifiée de privée, respectivement, aurait demandé le temps nécessaire pour l’effacer. »

Dès lors, contrairement aux juges de première instance, la Cour d’appel a décidé que les messages découverts par l’employeur pouvaient être utilisés à l’appui de sa mise à pied. Aussi, étant donné que les messages litigieux étaient inappropriés et constitutifs d’un comportement fautif et grave empêchant la poursuite de la relation de travail, la mise à pied a été déclarée justifiée et le contrat de travail résilié avec effet immédiat.

Dans cette affaire qui se termine sur une note positive pour l’employeur, la Cour d’appel va plus loin que les deux arrêts cités par le Tribunal du travail pour étayer son jugement dans la mesure où elle précise dorénavant qu’une communication présumée privée mais non renseignée explicitement comme telle et qui est librement accessible sur un outil professionnel lui confère un caractère professionnel. En présence de la décision analysée qui manifestement limite la portée du secret des correspondances, l’avenir nous dira si la jurisprudence majoritaire suivra la présente décision ou non.

Dans tous les cas et pour l’instant, il est important de rappeler aux employeurs qu’eu égard au secret des correspondances, ces derniers doivent s’abstenir de consulter les communications relevant de la sphère privée et qui sont explicitement renseignées comme tel par le salarié sur les outils mis à sa disposition (renvoi aux recommandations de la Commission nationale pour la protection des données 3 (CNPD)).

Ella Gredie
Conseillère affaires juridiques et sociales auprès de la FEDIL