Depuis la réforme de la législation relative aux délégations du personnel, il est devenu encore plus difficile de résilier le contrat de travail d’un délégué du personnel même en présence d’une faute grave de ce dernier, vu la procédure applicable.1
Cependant, ce n’est pas parce que la tâche s’avère fastidieuse que l’employeur est obligé de fermer les yeux sur un comportement intolérable ou plus précisément sur un fait rendant définitivement et immédiatement impossible le maintien des relations de travail.
Indépendamment de la procédure applicable en matière de résiliation du contrat de travail d’un délégué du personnel, se pose la question de l’indemnisation de ce dernier, en d’autres termes, le statut de délégué du personnel procure-t-il une indemnisation différente de celle d’un salarié ordinaire de l’entreprise ?
L’arrêt 2 faisant l’objet de cette chronique nous apporte des éléments de réponse à cette question. En l’espèce, le délégué du personnel a été mis à pied avec effet immédiat en vue de la demande de résolution judiciaire du contrat de travail. Tant la juridiction de première instance que la Cour d’appel ont jugé que la mise à pied avec effet immédiat notifiée au délégué était injustifiée. En effet, la faute grave dans le chef du délégué n’a pas pu être rapportée. Ce dernier avait dès lors, sur base de la procédure applicable prévue à l’article L. 415-10 (4) du Code du travail, la possibilité soit de demander son maintien, donc sa réintégration dans l’entreprise, soit de voir constater la résiliation du contrat de travail ainsi que la condamnation de l’employeur à lui verser des dommages et intérêts tenant compte du dommage spécifique subi par la cessation du contrat en rapport avec son statut de délégué jouissant d’une protection spéciale. C’est cette seconde option qui a été choisie par le salarié.
En termes d’indemnisation, le délégué a dans un premier temps demandé à se voir allouer une indemnité compensatoire de préavis ainsi qu’une indemnité de départ en application du droit commun. Cette demande a été acceptée en première instance mais rejetée en instance d’appel dans la mesure où : « L’article L. 415-10 (4), alinéa 6 du Code du travail […] ne prévoit pas que le délégué, indûment mis à pied et optant pour la constatation judiciaire de la résiliation de son contrat de travail, serait en droit de prétendre à une indemnité compensatoire de préavis et à une indemnité de départ. Ladite disposition ne comporte pas non plus de renvoi aux articles spécifiques du Code du travail. Force est donc de constater qu’aucune disposition légale ne permet au délégué, optant pour une action en dédommagement, de réclamer une indemnité compensatoire de préavis et une indemnité de départ. En effet, en cas de mise à pied, la loi prévoit un régime d’indemnisation dérogatoire, consistant en un maintien du salaire pendant trois mois, qui reste définitivement acquis au délégué, auquel s’ajoute un préjudice spécial. »
Pour ce qui concerne les préjudices matériel et moral, la Cour rappelle que les dispositions de l’article L. 415-10 (4) alinéa 5 et 6 n’écartent pas tout préjudice matériel, de sorte que le délégué est en droit d’en réclamer et conclut que : « Si la mise à pied a été prononcée de manière injustifiée – comme en l’occurrence – le délégué devra être indemnisé de ses préjudices matériel et moral, à les supposer établis, ainsi que du dommage spécifique découlant de son statut. »
Toutefois, le dommage matériel et moral devra être évalué en tenant compte de la période de référence nécessaire pour trouver un emploi comme pour les salariés ordinaires. En l’espèce, la période de référence a été fixée à 6 mois, eu égard à l’âge du salarié, à la nature de l’emploi, aux circonstances de l’affaire et aux efforts entrepris par ce dernier pour retrouver un nouvel emploi. La perte de salaire évaluée sur cette période était de 4.521,33 euros de sorte que le délégué s’est vu accorder ce montant à titre d’indemnisation du dommage matériel.
Quant au dommage spécifique, le salarié a encore réclamé le montant de 67.197,92 euros à titre de « préjudice matériel spécifique pour violation du statut du salarié protégé depuis l’éviction jusqu’à la fin du mandat » en multipliant la différence entre son ancien salaire et son nouveau salaire auprès de son nouvel employeur par le nombre de mois restants de son mandat de délégué, soit 37 mois.
Sur ce point, la Cour d’appel a rappelé que lors de la procédure législative relative au projet de loi n° 6545 ayant abouti à la loi du 23 juillet 2015 3, la Chambre des salariés avait proposé un amendement selon lequel l’indemnisation devrait couvrir toute la période de protection du délégué du personnel, à savoir toute la durée de son mandant. Néanmoins, cet amendement a été rejeté par le Conseil d’État qui avait estimé dans son avis du 2 juillet 2013 que fixer automatiquement des dommages et intérêts à un minimum s’élevant au montant des salaires redus pendant la durée de protection serait irréaliste, notamment dans l’hypothèse où un licenciement interviendrait au début du mandat. La Cour a dès lors conclu que : « La détermination du dommage doit donc suivre le régime général de l’indemnisation d’un préjudice, à savoir une appréciation in concreto. Un délégué ne peut partant pas prétendre, comme semble l’entendre l’appelant, au paiement des salaires jusqu’à la fin de son mandat du seul fait de la constatation du caractère injustifié de la mise à pied prononcée à son encontre. »
La Cour a encore confirmé l’analyse faite par le Tribunal du travail selon laquelle même si le préjudice matériel spécifique peut être analysé en une perte de chance, en l’espèce, il n’y a pas perte de chance. En effet, « pour qu’il y ait perte de chance au sens propre du terme, la victime ne doit plus pouvoir remédier à l’impossibilité de survenance de l’évènement. Si elle pouvait demeurer maîtresse de la situation, elle n’a vraiment rien perdu […] Or, dans la mesure où l’appelant n’a pas souhaité être maintenu dans l’entreprise, mais qu’il a opté pour la constatation de la résiliation de son contrat de travail, il ne peut se prévaloir d’une perte de chance de toucher les salaires auprès de son ancien employeur jusqu’à la fin de son mandat de délégué. »
Pour ce qui est du préjudice moral, il s’analyse en tenant compte de la perte d’emploi (dommage moral normal), mais également en tenant compte du dommage spécifique subi par la cessation du contrat de travail en rapport avec la qualité de délégué du personnel jouissant d’une protection spéciale. Même si le délégué réclamait un montant total de 85.198,08 euros, il s’est vu attribuer la somme de 25.000 euros eu égard à l’ensemble des éléments du dossier, et notamment aux circonstances de la mise à pied et toutes autres causes confondues.
En conclusion, le délégué mis à pied injustement ne peut prétendre à une indemnité de préavis et à une indemnité de départ. Néanmoins, il peut prétendre à l’indemnisation du dommage matériel et moral comme tout salarié en tenant compte de la période de référence déterminée par les juridictions du travail. Il peut encore se voir attribuer une indemnisation pour le préjudice spécial (matériel et moral) subi par la cessation de son contrat en rapport avec son statut de délégué du personnel sans que ce préjudice s’il est avéré ne soit calculée ni sur la durée restante du mandat, ni sur la perte de chance pour un salarié qui a refusé de réintégrer son emploi.
Du fait que l’arrêt analysé constitue une première décision en matière d’indemnisation d’un délégué du personnel sur base de la nouvelle législation, la FEDIL conseille aux entreprises de rester prudentes dans le cadre de la mise à pied d’un délégué et se tient à la disposition de ses membres pour les conseiller en amont d’une décision en la matière.