Le récent 50e anniversaire du centre de recherche d’ArcelorMittal à Esch-sur-Alzette et l’annonce d’investissements stratégiques dont bénéficiera aussi le centre de recherche, étaient l’occasion d’avoir un entretien avec Boris Donnay, directeur du centre de recherche d’ArcelorMittal à Esch-sur-Alzette.

Quel est le rôle du centre de recherche d’ArcelorMittal à Esch-sur-Alzette au sein du groupe ArcelorMittal. Quelles sont vos principales activités de R&D et quels sont les domaines technologiques sur lesquels votre centre se concentre actuellement ?

Le centre de recherche d’Esch-sur-Alzette, qui vient de fêter un demi-siècle d’existence, est l’une des douze implantations de recherche que compte l’organisation mondiale de R&D d’ArcelorMittal, Global R&D. En 2021, le groupe sidérurgique a investi 270 millions de dollars dans la R&D, qui emploie 1500 personnes à l’échelle internationale. C’est dire que la R&D constitue LE pilier technologique du groupe et a pour principale mission de créer de nouveaux aciers, d’améliorer la performance et la qualité des produits existants et aussi d’aider les usines à industrialiser les nouveaux produits et à gagner en efficacité et productivité. Cette mission s’accomplit grâce à la collaboration étroite entre les centres de recherche.

Pour ce qui est de l’entité à Esch-sur-Alzette, elle a été créée en 1972 sur le site du Schlassgoart, proche à l’époque de l’usine d’Esch-Schifflange, pour accompagner les usines du groupe dans le développement de leurs procédés. Évoluant au fil de la transformation de la sidérurgie, nous sommes aujourd’hui spécialisés dans la technologie des aciéries électriques et le développement de produits et solutions pour le secteur de la construction qui est d’une grande importance pour ArcelorMittal, absorbant 50% de nos volumes de production d’acier.

À ce jour, le centre de recherche d’Esch-sur-Alzette compte 45 chercheurs, représentant 13 nationalités. Le centre dispose de 1200 m2 de bureaux et de 1500 m2 de laboratoire, doté d’une grande variété d’outils et d’équipements, comme des équipements de découpe et d’usinage pour traiter des pièces industrielles de plusieurs tonnes et en extraire des échantillons pour des analyses de la qualité, des équipements de simulation et essais tel que traitement thermique et corrosion, des équipements de caractérisation mécanique tels qu’une machine de traction de 400 tonnes de capacité, des équipements de caractérisation métallographique tel qu’un microscope électronique à émission de champ, des équipements de modélisation numérique ou encore une cellule d’essai d’applications robotiques.

Comme dit précédemment, notre centre de recherche est spécialisé en particulier dans la filière de production d’acier au moyen des fours à arc électrique. Cette technologie est déjà appliquée dans les aciéries luxembourgeoises et rencontre un succès croissant à l’étranger.

Nous sommes aussi spécialisés dans les opérations de laminage de profilés de formes traditionnelles tels que poutrelles ou cornières jusqu’aux géométries complexes de palplanches ou profilés spéciaux. Ces opérations sont modélisées par des outils de simulation numérique du centre de recherche avant l’application sur le site industriel. Ces nouveaux produits longs lourds sont principalement développés à destination du secteur du bâtiment, des infrastructures et des ouvrages d’arts.

Un autre axe de recherche est l’élaboration de nouvelles nuances d’acier dotées de propriétés supérieures tels que la résistance mécanique, la ductilité, la tenue à la corrosion ou l’aptitude au soudage. Nos équipes sont notamment impliquées dans l’optimisation de la technologie de refroidissement dite QST utilisée sur le laminoir de Differdange.

Quels sont les projets que vous avez trouvés les plus intéressants et quels sont les produits de votre R&D qui ont obtenu le plus grand succès commercial ?

Travaillant en étroite collaboration avec les services de production et de vente, notre centre de recherche a développé un grand nombre de produits innovateurs qui trouvent application dans les ouvrages les plus prestigieux dans le monde entier. Nos efforts de R&D sont guidés par les besoins de nos clients et par la volonté de permettre la construction de structures plus faciles à mettre en œuvre ou plus performantes en termes de coût, de vitesse d’exécution, de durée de vie, d’encombrement et de légèreté. Depuis des années, nous accordons une attention particulière à la réduction de l’empreinte environnementale et à la durabilité de nos produits.

Un de nos produits phares sont les poutrelles extra lourdes
« Super Jumbo » avec une épaisseur de l’aile allant jusqu’à 140 mm. Ces aciers à très haute résistance et à faible valeur d’équivalent carbone contribuent à une efficacité structurelle optimale. Les « Super Jumbo » ont été utilisées avec succès pour divers projets et gratte-ciels illustres, dont le One World Trade Center à New York, le Shanghai World Trade Center ou encore la structure supérieure du Burj Khalifa à Dubaï.

Récemment, ArcelorMittal a introduit les poutrelles QST en acier de résistance Gr70 et Gr80, surtout utilisées pour les colonnes de bâtiment de grande hauteur. Ces nouvelles nuances d’acier sont produites à 100 % à partir de ferraille recyclée à l’aide d’un four à arc électrique et du procédé de laminage thermomécanique QST (Quenching and Self-Tempering) d’ArcelorMittal. Le résultat est un matériau présentant une limite d’élasticité améliorée et d’excellentes caractéristiques de ductilité, de ténacité et de soudabilité.

Ensuite, je mentionnerais la famille des palplanches AZ, offrant jusque 800 mm de largeur, pour la production desquelles ArcelorMittal Belval est un leader incontesté. Notre centre de recherche a contribué au développement d’une série de nouvelle génération, utilisant notamment un logiciel aux éléments finis pour exécuter des simulations numériques du procédé de laminage. Ces palplanches ont notamment été choisies pour le projet MOSE à Venise, un système intégré de défense formé de rangées de vannes mobiles permettant d’isoler la lagune de Venise de la mer Adriatique durant les hautes marées. A cette fin, ArcelorMittal a fourni pas moins de 150.000 tonnes de palplanches.

Ajoutons les poutrelles Angelina®, qui se sont d’ailleurs vu décerner en 2008 un Prix de l’Innovation de la FEDIL pour leur design. Élégantes, ouvertes, transparentes et flexibles, les poutrelles Angelina offrent une nouvelle dimension architecturale dans une approche respectueuse de l’environnement. Avec leurs ouvertures dans l’âme même de la poutrelle, elles allient élégamment la fonctionnalité et la flexibilité, intégrant les installations techniques et optimisant ainsi le rapport poids/hauteur et charge/poids.

Dans tous nos développements récents, nous préconisons une approche holistique, considérant par exemple un bâtiment dans sa totalité et prenant en compte l’ensemble des matériaux (acier, béton, bois) pour élaborer une solution efficace et flexible au service du client. Les mégacolonnes, le plancher mince composite CoSFB ou les poutres composites préfabriquées PreCoBeam sont des exemples de produits innovants, plébiscités par l’architecture moderne.

Nous entendons beaucoup parler du changement climatique ainsi que de la nécessité de réduire l’utilisation des ressources et de l’énergie fossile. Comment les projets de R&D d’ArcelorMittal s’inscrivent-ils dans ce contexte ?

Lorsque, dans les années 1990, les aciéries luxembourgeoises sont passées à la filière électrique, en produisant de l’acier au moyen des fours à arc électrique, nous étions pour ainsi dire des précurseurs. Aujourd’hui, cette technologie rencontre un succès croissant à l’étranger, en particulier pour son bilan environnemental : circularité par la production d’acier à partir de ferrailles recyclées et division par 3 des émissions de CO2 par rapport à la filière fonte traditionnelle.

En tant que centre de recherche luxembourgeois, nous sommes étroitement liés au développement de cette filière et nos activités concernent notamment l’optimisation de l’alimentation électrique, la consommation énergétique du four, les matières premières et les consommables. Nos équipes étudient aussi le recyclage de co-produits et la substitution de combustibles fossiles (charbon, gaz naturel) par des produits recyclés, biosourcés ou de l’hydrogène. Ces activités reflètent la volonté du groupe de suivre des processus de fabrication toujours plus éco-responsable en impact énergétique et environnemental. A ce titre, ArcelorMittal s’est engagé à réduire de 35% ses émissions de CO2 à horizon 2030 en Europe et de devenir neutre en carbone à horizon 2050 dans le monde. Au niveau du groupe, nous avons d’ailleurs lancé notre nouvelle marque XCarb™ qui réunira à terme tous les produits et toutes les activités sidérurgiques d’ArcelorMittal à faibles émissions de carbone ou neutres en carbone.

Dans ce contexte s’inscrit aussi la récente annonce d’investissements d’une valeur estimée à 100 millions d’euros pour une transformation de l’aciérie de Belval avec un nouveau four à arc électrique. Cet investissement, qui reçoit le soutien financier du gouvernement luxembourgeois, permettra une meilleure efficacité énergétique et un accroissement des capacités de production d’acier de près de 15%, pour atteindre 2,5 millions de tonnes d’acier par an, et ainsi établir une autosuffisance en matière de capacité de production d’acier au Luxembourg pour couvrir les besoins en produits finis laminés. Dans une étape ultérieure, l’empreinte carbone résiduelle sera appréhendée par une vague de nouveaux développements technologiques, tels que le remplacement du gaz naturel dans les fours de réchauffage des laminoirs par des ressources énergétiques alternatives.

Aujourd’hui déjà, le développement durable est intégré dès la conception de tous nos nouveaux produits, les analyses de cycle de vie réalisées par les chercheurs permettant de confirmer et d’optimiser la performance environnementale des solutions proposées.

À quel point la transformation numérique vous aide-t-elle dans vos activités de recherche ?

L’usine sidérurgique du futur sera pilotée au plus près grâce à une digitalisation poussée de ses différentes étapes de production – implantation de modèles et d’outils de conduite de ligne, contrôle en temps réel, analyse de données de masse, interconnexion entre usines et R&D – permettant de réagir au plus vite et d’anticiper les résultats. La digitalisation est de plus en plus présente dans nos installations industrielles : des capteurs ont été développés pour mesurer des caractéristiques physiques tel que dimensions, densité, températures, vibrations, etc. Ces données sont couplées à des logiciels de contrôle pour modéliser, piloter et fiabiliser les opérations industrielles. Ces systèmes intégrés sur les lignes de production permettent aussi de mesurer en continu la qualité des produits et d’alimenter des études mettant en œuvre l’intelligence artificielle et le big data.

Évidemment, notre centre de recherche est intimement lié à ces développements. Un projet de digitalisation en cours concerne, par exemple, un système de robot pour la traçabilité des produits. Nous développons nos propres outils de simulation et modélisation numériques pour accélérer la mise au point des produits ou encore dimensionner des structures de bâtiments.

Que ce soit au niveau du hardware ou du software, nos projets de développement en digitalisation sont le plus souvent réalisés en collaboration avec Global R&D d’ArcelorMittal, nos collègues à Maizières-lès-Metz ou à Chicago ou encore des partenaires externes internationaux. Notre approche en matière d’industrie 4.0
doit rester flexible. Il est incontestable que l’exploitation des big data monte en puissance. Pour nous, il est essentiel de former les équipes sur le long terme pour pouvoir contrôler les processus en question. Il s’agit là d’un travail de longue haleine.

Le centre de recherche est en contact étroit avec les différents acteurs publics et privés de la recherche au Luxembourg. Selon vous, quels sont les avantages, mais aussi les faiblesses de l’écosystème RDI luxembourgeois ?

En effet, les collaborations sont multiples et s’étendent généralement sur plusieurs années.

Dans le cadre de la chaire ArcelorMittal Construction Métallique, les travaux menés en collaboration avec l’Université du Luxembourg portent essentiellement sur les structures à technologie avancée, les aciers à haute résistance et la construction écologique. Dans le contexte de ces activités, nous avons aussi recours aux installations High-Performance Computing (HPC) de l’Université, par exemple dans le domaine de la mécanique des fluides.

Le partenariat avec le Luxembourg lnstitute of Science and Technology (LIST) se concentre prioritairement sur le domaine de la décarbonation et de la performance énergétique de nos solutions. D’autres projets de recherche, qui ont notamment recours à la simulation numérique, concernent les propriétés des matériaux, comme par exemples des études portant sur la corrosion, les phénomènes thermiques, les produits d’étanchéité, etc.

L’agence nationale de l’innovation Luxinnovation, quant à elle, nous conseille dans l’établissement des programmes pluriannuels de R&D soumis au ministère de l’Économie. Elle est l’interlocuteur de référence pour tout ce qui est subsides à la recherche et à l’innovation et règlementations européennes. Cet écosystème RDI sur un petit périmètre est assurément à notre avantage.

Globalement, le système des mesures d’encouragement à la recherche, mises en place par le ministère de l’Économie, est efficace et flexible. Si les règles européennes en matière d’aides étatiques sont rigoureusement appliquées au Luxembourg, il est vrai que les taux de subsides sur la R&D et les critères d’acceptation sont parfois plus larges dans d’autres pays. Cette situation est bien sûr susceptible l’influencer les choix d’investissement d’un groupe international comme le nôtre. En termes de compétitivité, cet équilibre est délicat.

Au sein d’ArcelorMittal, notre centre de recherche bénéficie incontestablement de sa proximité aux sites de Belval, de Differdange et de Rodange – nous allons d’ailleurs, pour être encore plus proche des équipes opérationnelles, venir nous installer dans un nouveau bâtiment à construire directement sur le site de Belval – et de la grande souplesse des opérateurs à soutenir par exemple nos tests industriels. Outre le fait que notre filière électrique en est avance sur les défis de la décarbonation, cette donne motive aussi la direction d’ArcelorMittal à continuer à investir au Luxembourg.

Comme pour la plupart des acteurs économiques, nous peinons à trouver les ingénieurs et spécialistes pour renforcer nos équipes. Cette situation est aggravée par les délais administratifs extrêmement longs pour employer des non-ressortissants de l’Union européenne. Un dossier récent a pris pas moins de quatre mois ! Il serait sûrement aussi judicieux d’avoir des formations continues et complémentaires, organisées par modules, notamment dans le domaine de la digitalisation. Un modèle que nous ne trouvons pas sur le marché local.

Quelle est votre devise en matière de R&D ?

Je reprendrais ici la devise du groupe « Smarter steel for people and planet ».

Nos activités de R&D s’appuient sur un certain nombre de convictions profondes: santé & sécurité, confiance, éthique, diversité, esprit d’équipe, connaissances, excellence, créativité et innovation sont autant de valeurs qui guident nos réflexions et nos travaux.

Personnellement, je perçois l’idée de la transformation comme une notion fondamentale. Dans un monde où la seule constante immuable est le changement, notre futur est lié à notre capacité à nous adapter en permanence. C’est ce qui crée notre pérennité.