Monsieur le Ministre, le plan national intégré en matière d’énergie et de climat vise une réduction des gaz à effets de serre de -50 à -55 % jusqu’en 2030 par rapport à 2005 alors que l’Union européenne propose au Luxembourg des objectifs de réduction de -40 %.

Est-ce que cela fait du sens d’être aussi ambitieux, alors que l’histoire nous a montré que le Luxembourg a dû acheter des quotas dans le passé, notamment durant la 1ère phase de l’accord de Kyoto ? Les ambitions trop élevées risquent-elles finalement de coûter cher aux contribuables et à l’industrie ?

Je crois que nos objectifs sont réalistes. Ce qui compte, c’est ce que la science du climat nous dit. Le rapport du GIEC dit clairement que si on veut être en-dessous de 2° Celsius et direction 1,5° Celsius, il faut que l’Europe livre un effort dans les parages d’une réduction de 55 %. Le problème n’est donc pas notre objectif réaliste, mais que l’objectif de -40 % de l’Union européenne vient d’un sommet des chefs d’État en octobre 2014, avant les Accords de Paris de décembre 2015. Tout le monde sait que l’objectif de l’UE pour 2030 va devoir être révisé et plutôt qu’être à la traine, nous voulons être un gouvernement qui reconnaît l’urgence climat et qui agit responsablement.

Vous avez donc l’impression que cela va de toute façon être révisé et on sera dans une meilleure position si on se fixe déjà aujourd’hui ?

Oui, parce que sinon je fais un plan sur 10 ans que je dois réviser bientôt, je préfère être fixé dès maintenant. Pour le changement climatique, on est à un moment clé. La science est claire là-dessus et avec les mouvements des jeunes et la prise de conscience plus large de la société, je pense qu’on est finalement dans une situation où on a les majorités sociétales et pas seulement politiques pour bouger comme on doit le faire. C’est un moment clé et on veut être à la hauteur de l’enjeu.

Les décisions de la politique énergétique et climatique ont aussi un impact non-négligeable sur grand nombre d’aspects économiques. Vu l’intégration des responsabilités en matière d’énergie dans un ministère à part, séparé de celui pour l’économie auquel il était historiquement lié, est-ce que l’on doit craindre que les conséquences économiques de la nouvelle politique énergétique ne jouent plus un rôle aussi important que dans le passé ? Comment comptez-vous maintenir le lien avec l’économie ?

En fait, il faut savoir qu’entre 1989 et 1994 l’énergie était avec l’environnement dans un ministère dont le ministre était Alex Bodry. C’est clair que l’énergie et la transition énergétique sont dans un triangle entre l’environnement/le climat, l’impact sur la société et l’impact sur l’économie. Personnellement, mon attitude est de dire que l’industrie de demain est verte. C’était déjà le cas pendant toutes mes années au Parlement européen. Je rejoins Hubert Védrine à ce sujet, l’invité du centenaire de la FEDIL. Ce qu’il faut faire, c’est préparer l’industrie à cette bouture. J’ai beaucoup œuvré à ce que l’initiative sur les batteries européennes voie son jour. J’ai travaillé avec le Commissaire de la Recherche, Carlos Moedas pour qu’on ait des grands programmes de recherche sur Zero Carbon Steel, Zero Carbon Cement et Zero Carbon Chemistry. Il faut aussi comprendre que les multiples directives sur les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique sur lesquelles j’étais impliqué, ont créé des milliers d’emplois en fin de compte. L’éolien en mer crée des milliers d’emploi, l’Europe est un leader mondial en la matière. La rénovation des bâtiments, c’est des centaines de milliers d’emplois locaux sur les prochaines décennies. Je crois donc que c’est un défi pour l’industrie, mais qu’elle sera aussi un des gagnants de cette transition énergétique.

Vous avez beaucoup parlé de l’Europe. Au Luxembourg, si vous dites qu’il faut préparer l’industrie à cette transition, comment comptez-vous le faire ?

Il y a des choses qui ont déjà été faites. Je pense notamment à l’Accord volontaire. J’étais avec Étienne Schneider dans les négociations du dernier gouvernement où on a instauré le principe de la compensation pour les industriels exposés à la globalisation des coûts indirects d’ETS sur le prix de l’électricité. Mon analyse en ce moment est qu’ensemble entre le gouvernement et les industriels on pourrait faire mieux sur tout ce qui peut générer des investissements dans l’efficacité énergétique.

Je suis en train de travailler sur un instrument de « de-risking » (diminution des risques, ndlr), un instrument qui pourrait plus facilement permettre à des parties tierces d’investir dans l’efficacité du processus industriel. Je crois que cet instrument servira les objectifs climat du gouvernement et améliorera la compétitivité de l’industrie luxembourgeoise.

Deuxièmement, concernant les énergies renouvelables, on est entretemps dans une situation où le grand solaire dans le sud de l’Europe, mais aussi l’éolien en Mer du Nord, sont à des prix qui approchent le prix du marché de l’électricité. Va se poser donc la question de contrats à long terme renouvelables, ce qu’on appelle techniquement des « Long-term renewable power purchase agreements – long-term Renewable PPAs ». J’ai lancé un travail pour voir si le Luxembourg avec la BEI, avec d’autres pays et la Commission européenne, pourrait créer un instrument de de-risking aussi pour les long-term PPAs. J’espère réaliser une diminution des coûts des transactions et donc des coûts tout court, quand un industriel achète des renouvelables sur 15 ou 20 ans. Je crois que le moment est venu pour s’intéresser à cela. Des entreprises comme Google et Microsoft, mais aussi des industries manufacturières ont déjà fait des contrats à long terme avec des opérateurs d’éoliennes en mer ou avec des opérateurs du solaire. L’objectif de l’instrument de de-risking est de réduire le risque financier ou le risque perçu financier dans ce genre de transaction pour justement permettre aux industriels d’avoir une électricité compétitive, compatible avec le monde dans lequel on est, qui est le monde du changement climatique.

Le plan national intégré en matière d’énergie et de climat prévoit de renforcer les efforts de recherche et de développement afin d’accélérer la transition énergétique. Avez-vous déjà une idée dans quels domaines vous souhaitez renforcer ces efforts ?

Au Luxembourg, on doit agir notamment autour de la ville intelligente, que ce soient les maisons connectées, l’intégration des photovoltaïques dans les réseaux électriques ou encore l’intégration de l’électro-mobilité dans le système électrique, le tout EV-PV ready. Il y a aussi les constructions durables et l’économie circulaire.

Après il y a des choses que le Luxembourg seul ne pourra pas faire, l’acier zéro carbone, le béton zéro carbone, le verre zéro carbone. Mon idée est de faire du Luxembourg un acteur proactif de ce que le Commissaire Moedas et le Parlement européen ont mis en place. Des centaines de millions seront disponibles dans le prochain budget européen pour faire des grands projets de démonstration dans ce genre d’industries clés pour l’Europe. L’Europe est très forte dans le domaine des machines, de l’intelligence pour les processus industriels. Ces projets pourraient à la fois renforcer la performance des industries, mais, si l’Europe était p.ex. un prédécesseur dans le Zero carbon steel, cela pourrait aussi être un avantage compétitif pour l’exportation de ce genre de technologies.

Si on arrive à faire un level-playing field ?

Concernant le level-playing field, je suis depuis longtemps un avocat de la taxation aux frontières du carbone. Malheureusement, BusinessEurope n’était pas toujours sur cette position. De même, l’Allemagne voulait plutôt protéger son industrie automobile en Chine que les aciéries européennes contre le dumping chinois. J’étais un des premiers à avertir sur le problème du dumping chinois. J’étais invité en 2012 à l’assemblée générale de la sidérurgie européenne : je leur ai dit d’arrêter de discuter que l’Europe leur rend la vie difficile avec les lois sur l’énergie et le climat et de nous occuper ensemble du dumping chinois et du fait que l’on pourrait se retrouver dans une situation où la Chine a un excédent qui est plus grand que toute la capacité de production en Europe. Malheureusement, on n’a que très tardivement reconnu le risque de ce dumping chinois.

Revenons à la recherche et le développement au Luxembourg. Vous dites que dans les grandes industries consommatrices d’énergie, vous attendez plutôt que nos industriels se tournent vers l’Europe parce que c’est plus difficile au Luxembourg. Mais que peut-on faire au Luxembourg ?

Au Luxembourg, on doit avancer dans le domaine de l’efficacité énergétique de certains processus, mais il ne faut pas se leurrer : notre recherche n’a pas la taille critique pour être seule un acteur, p.ex. sur le zero carbon steel. Je veux être réaliste et aider nos chercheurs, aider nos industries à faire partie de consortiums européens, qui sont possibles maintenant sur le thème de l’acier zéro carbone et autres.

Est-ce qu’on pourrait imaginer des Grants du FNR ?

C’est une idée intéressante qu’on devra aborder avec le ministre responsable : il faut identifier les prochaines étapes. Voir ensemble comment avec nos outils – FNR, LIST, Université – on pourrait avancer ensemble.

Pour l’industrie, mais aussi pour d’autres activités grandes consommatrices d’électricité comme les data centres, l’attractivité économique du pays sera désormais définie par la capacité de mettre à disposition suffisamment d’énergies renouvelables à prix compétitifs. Comment voulez-vous le faire ?

Je suis d’accord avec cette analyse et c’est pour cela que je veux faire du Luxembourg un acteur de premier rang sur les contrats à long-terme renouvelables (renewable PPAs).

Et la production elle-même au Luxembourg ?

Sur le territoire luxembourgeois, avec cette énorme intensité industrielle, que ce soit ArcelorMittal, Goodyear, Cargolux, Guardian ou encore les cimenteries, on ne va jamais réussir à produire localement 100 % de renouvelables. Voilà pourquoi il faut produire au Luxembourg ce qui est possible, à travers les éoliennes et le solaire, où nous venons de lancer une nouvelle offensive avec le Règlement grand-ducal renforçant le régime d’aide à la promotion de l’énergie photovoltaïque et nous allons lancer un appel d’offres sur les grands projets solaires dans lequel on va impliquer les acteurs économiques. On a fait beaucoup de progrès sur l’éolien, on a fait un certain nombre de projets avec p.ex. Kronospan sur l’utilisation efficiente du bois-énergie. Ça, c’est notre devoir. Il faudra pousser l’efficacité énergétique dans l’industrie au maximum, ce qu’on va essayer de faire. En plus de cela, il faut voir ce que le Luxembourg pourra faire pour que ses industriels puissent acheter sur le marché européen des renouvelables bon marché. L’outil pour arriver à cela est justement un instrument de de-risking pour les long-term renewable PPAs.

Êtes-vous déjà assez avancé dans ce projet d’instrument de de-risking pour nous en dire un peu plus ?

On commence à travailler là-dessus. L’objectif c’est de présenter l’outil en 2020.

Ce que l’on essaie de pousser au plus vite c’est le Fonds de de-risking sur l’efficience. Sur les long-term PPAs, on a commencé à travailler dessus et à analyser qui pourraient être des acteurs à lier. J’ai mis ce projet à l’ordre du jour du Forum pentalatéral de l’énergie, qui regroupe la France, l’Allemagne et le Benelux, parce que certaines choses se font mieux à plusieurs, notamment parce que le marché luxembourgeois de l’électricité n’existe pas, nous faisons partie du marché de l’énergie de l’Europe de l’Ouest. Je profite de ma Présidence du Forum pentalatéral pour justement mettre des sujets comme l’électromobilité à l’ordre du jour. Je veux que les Luxembourgeois qui vont rouler électrique peuvent facilement avoir accès à une très bonne infrastructure dans toute la zone Ouest et je veux que sur les énergies renouvelables, on puisse travailler ensemble de façon très intense dans notre zone.

Un dernier point qu’on essaie de travailler c’est le fait que dans un monde électrique dans lequel il y aura beaucoup de renouvelables, on aura besoin de flexibilité. Il y aura un marché pour ce que l’on appelle le « demand-side management ». Une des choses qu’on mettra à l’agenda du Forum pentalatéral c’est la création de produits de charge flexible transfrontaliers, ce qui peut être un atout pour tous les industriels au Luxembourg. Aujourd’hui dans notre marché qui est trop petit pour ce genre de produits, il est difficile de gagner de l’argent en mettant à disponibilité sa flexibilité sur le marché de l’électricité.

Le Luxembourg réserverait donc via sa contrepartie en Belgique ou aux Pays-Bas des capacités ?

Il y a beaucoup de questions administratives à clarifier. On est en train de travailler avec un consultant pour justement arriver à clarifier toutes ces questions.

Vous travaillez sur un business modèle de rémunération ?

Oui, nous voulons rémunérer cette flexibilité. Je sais aussi de mes discussions avec les industries sidérurgiques et de l’aluminium que cela peut être un revenu supplémentaire intéressant.

Un dernier message important est que la transition énergétique a évidemment besoin de production d’acier pour les mats des éoliennes ; de chimie pour les pales des éoliennes ; de matière d’isolation, etc. Tout cela est donc créateur d’emplois et de valeur en Europe et je crois personnellement beaucoup dans la dimension industrielle de la transition énergétique. Je crois que l’Europe peut être un leader dans ce domaine.

Et on n’a même pas encore parlé du digital. En fait Siemens, ABB et d’autres sont plus qualifiés pour organiser la digitalisation du monde de l’énergie et de l’électromobilité qu’un Google, p. ex. On a donc des atouts européens pour le monde industriel de demain. L’industrie 4.0 c’est aussi l’industrie européenne.