Comment faut-il imaginer une entreprise de construction dotée d’une si grande tradition que CDCL ?
Mon arrière-grand-père, André Colas dirigeait une entreprise de construction dans les années 1930. L’entreprise telle que vous la connaissez aujourd’hui, existe depuis 1979, année de fusion de trois entreprises de construction bien établies sur le marché luxembourgeois. Camille Diederich-Colas, fondée en 1951 par mon grand-père, Pierre Bohler, fondée en 1907 et ARDEC anciennement Raymond Didier, fondée en 1948. Se trouver à la tête d’une entreprise avec un bagage traditionnel de taille constitue une responsabilité considérable.
Une entreprise axée sur une idée familiale a un mode de fonctionnement bien spécifique. Oui, nous souhaitons avancer, mais ce ne se fera jamais à tout prix. La maximisation du profit n’est pas une fin en soi. Nous misons sur la stabilité et la durabilité : plutôt que de tirer du profit exacerbé, il s’agit d’investir et cela non seulement dans le financier mais avant tout dans l’humain. Le long terme prime toujours sur le court terme. Nous nous efforçons de souder nos équipes et de les traiter conformément à nos valeurs. Chaque maillon de l’équipe compte.
Jusqu’à présent la majorité des entreprises luxembourgeoises du secteur de la construction se léguaient de père en fils. Hélas, les choses changent et le secteur entier connaît d’importants changements. Cette évolution est notamment due à la présence d’autres acteurs ayant des liens étroits avec des groupes étrangers. Face à ces réalités, ma nouvelle responsabilité est un grand défi.
Quels chantiers comptez-vous entamer sous votre présidence et à quels sujets aimeriez-vous consacrer toute votre énergie ?
Afin de tenir le rythme dicté par l’écosystème, une entreprise ne doit jamais cesser d’ajuster son tir.
La transformation de CDCL a débuté en 2009 sous la présidence de Marc Assa. Créé sous forme de société en commandite simple, CDCL adopte, en 2009, le statut de société anonyme et devient CDC s.a. . Cette nouvelle ère a été marquée par la mise en place d’un conseil d’administration. Comme mon prédécesseur a bien acheminé l’avenir de la maison, des modifications profondes ne s’avèrent nullement nécessaires. La transmission s’est fait dans la continuité et le respect de nos origines.
Depuis que je suis arrivé dans l’entreprise en 1999, j’ai tenté de contribuer à la modernisation de CDCL et de nous adapter aux défis actuels tout en nous préparant à ceux de demain. Il s’agit de tenir pas avec l’accélération globale du marché et de nous tailler une place parmi les concurrents devenant de plus en plus nombreux et assidus. La concurrence internationale n’est pas à sous-estimer, surtout celle ayant recours à des pratiques proches du dumping social.
À côté de ses atouts bien connus, le Luxembourg peut se prévaloir de vraies valeurs, celles du modèle luxembourgeois. Ce dernier vaut aussi dans notre secteur et plus précisément dans notre entreprise. Le dialogue social nous importe. En fédérant notre personnel, nous nous efforçons de nous doter d’équipes hors du commun que nous mettons au profit de nos clients.
Est-ce que vous comptez évoluer sur une échelle internationale ?
Nous avons surtout sondé le marché français. Notre conclusion est toute simple : stratégiquement il est plus intéressant de se concentrer sur le national, sur le marché que nous connaissons, que nous vivons. Il faut souligner dans ce contexte que le marché luxembourgeois est trop riche pour le délaisser au profit de compétiteurs venus d’autres pays. Ceci d’autant plus que CDCL est réellement à même de proposer des solutions et des plus-values pour le marché national. De plus, nous refusons de bousculer nos équipes par des déplacements trop soutenus. Nous souhaitons leur garantir les meilleures conditions de travail en privilégiant l’ancrage national.
Comment concevez-vous le futur de votre branche ?
Les grands chantiers tels que l’économie circulaire et les sujets liés à l’énergie méritent toute notre attention. Ils ne cesseront d’influencer notre façon de construire. On va certainement construire différemment dans l’avenir.
J’ose dire que nous sommes encore assez traditionnels au Grand-Duché : le béton et l’acier priment alors que le bois ne fait que démarrer sa marche au succès. Et j’irais, encore plus loin. Il faut repenser la construction, notamment au niveau de la conception. Prenons le BIM (Building Information Modeling) et les méthodes de travail axées sur des maquettes numériques paramétrique 3D contenant des données intelligentes et structurées. Ces techniques vont influencer notre secteur dans toute sa largeur. Dans le futur le numérique nous permettra le partage des informations fiables tout au long de la durée de vie d’un bâtiment ou d’infrastructures.
Parlant des grands challenges du secteur de la construction, quelles solutions préconiseriez-vous face aux décharges devant de plus en plus rares ? Aussi, la Ministre du développement durable et des infrastructures vient-elle de lancer une proposition de construire autrement : est-ce que vous y voyez des solutions applicables ?
Certes, les décharges ne deviennent pas rares. Elles le sont et elles l’étaient toujours. En ce qui concerne la problématique des décharges, il y a peut-être aussi un problème de communication qui ne contribue guère à faciliter les choses. Il faut distinguer entre déchets destinés à des décharges spécialisées et matériaux inertes n’engendrant aucune pollution, de la simple terre excavée en l’occurrence. Prenons par exemple la décharge située à Strassen. Il s’agit ici d’une structure destinée uniquement aux matériaux inertes sans impact nuisible sur l’environnement naturel et humain. C’est de telles décharges dont notre secteur a besoin. Et de plus, pour éviter des nuisances surtout au niveau de la circulation, elles devraient être décentralisées.
La présence ou absence de décharges pour les terres excavées dictera au final notre manière de construire. Si les décharges restent aussi rares qu’elles le sont actuellement, il faudra forcément construire en hauteur. Je pense que nous pourrons compter sur le soutien de la politique, on a décelé le problème et nous allons sans doute travailler ensemble pour trouver des solutions viables.
Comment évaluez-vous la situation du marché en matières de logements et où voyez-vous des actions prioritaires afin de concilier offre et demande en rendant justice à la croissance ?
C’est du côté des procédures qu’il faut chercher les solutions. En principe, notre périmètre de construction pourrait être suffisamment vaste. Si l’on pourrait l’exploiter partout dans le pays, certains problèmes seraient résolus d’emblée. Mais, malheureusement faut-il compter jusqu’à 15 ans pour faire aboutir un PAP d’un grand lotissement d’envergure ce qui fait que nous aurons du mal à concilier l’offre et la demande. À titre d’exemple, le PAG de la ville de Luxembourg est devenu plus restrictif pour certains quartiers, ce qui ne va pas améliorer les choses. Si les procédures deviennent plus souples et plus rapides, le secteur pourra s’adapter à la croissance.
Un autre challenge est celui de répondre aux besoins de la nouvelle génération. Elle a d’autres aspirations, d’autres besoins et ne veut plus forcément être propriétaire, mais louer à des prix abordables. Il faut donc réagir en temps utile. Les baux emphytéotiques et des initiatives comme le projet « Baulücken » de la Ville de Luxembourg constituent autant de mesures très positives, mais elles restent homéopathiques.
Qu’en est-il de la main-d’œuvre ? Est-elle disponible et qualifiée ?
Le constat est vite fait. Il n’est toujours pas facile de trouver de la main-d’œuvre motivée et qualifiée. Nous avons une majorité d’employés d’origine portugaise. Le turn-over est minime, presque inexistant. En ce qui concerne les qualifications, nous nous sommes auto-dépannées en tant que secteur par le biais de l’Institut de Formation Sectoriel du Bâtiment. À l’IFSB nous offrons des formations n’existant nulle part ailleurs. CDCL y forme toutes ses équipes. L’IFSB a formé plus de 13.000 personnes, ce qui est un franc succès.
En revanche, il est difficile d’encourager les jeunes à viser une carrière dans notre secteur.
Nous sommes par exemple en manque d’ingénieurs. Beaucoup de jeunes optent pour une carrière d’état plutôt que de rester dans le secteur privé.
Voilà pourquoi le branding de l’employeur devient de plus en plus important dans cette véritable « chasse » aux talents. Il faut se distinguer pour attirer et pour fidéliser. C’est dans cette optique que nous repensons notre communication en interne et en externe. En interne nous favorisons un modèle participatif mettant en avant l’esprit d’équipe. Nous avons par exemple instauré une application mobile de communication interne dédiée à tous nos collaborateurs y compris les salariés de production. C’est un moyen de les faire participer à la vie de l’entreprise.
Pour attirer les jeunes talents, nous sommes en train d’adapter CDCL à l’air du temps. Nous nous donnons par exemple de nouveaux moyens qui nous permettront des poussées dans les médias sociaux afin d’intéresser un maximum de jeunes pour notre entreprise et pour notre secteur.