Madame Welfring, en tant que directrice adjointe de 2014 à 2022, puis directrice de l’Administration de l’environnement, vous avez vécu de près la mise en œuvre de la politique environnementale. Aujourd’hui, vous avez l’opportunité de la façonner en tant que ministre. Pouvez-vous nous donner votre point de vue sur les vis à régler au niveau du fonctionnement de l’Administration afin de permettre un traitement accéléré des dossiers ?
Les traitements en question dépendent fortement du domaine thématique des dossiers. La réorganisation de l’Administration de l’environnement en 2016, par exemple, a permis d’améliorer considérablement le traitement des dossiers relatifs aux autorisations d’établissements classés. L’Administration de la gestion de l’eau et l’Administration de la nature et des forêts ont aussi démarré leur réorganisation et des audits respectifs seront mis en œuvre. Ces adaptations sont suivies de près par le ministère de l’Environnement, du Climat et du Développement durable (MECDD). Le renforcement récent de ces services va aussi aider à mettre en œuvre un traitement plus efficace des dossiers. Finalement, le processus de la digitalisation des trois administrations poursuit aussi ce but. Ensemble avec le MECDD, j’assure le suivi de toutes ces mesures.
Les échéances électorales de 2023 s’approchent à grands pas. Quelles sont vos priorités en matière de politique climatique et environnementale dans le secteur industriel pour la période législative restante ?
Les priorités en matière de politique climatique et environnementale dans les prochains mois sont notamment :
- la transposition de la directive sur l’eau potable,
- la loi pour la protection de la forêt, la mise en œuvre avec les différents secteurs du paquet de lois sur la gestion des ressources et des déchets,
- l’actualisation du Plan national intégré en matière d’énergie et de climat (PNEC) et la poursuite de sa mise en œuvre,
- la digitalisation et la simplification administrative sur base de la loi relative aux établissements classés.
Je suis en train de m’investir à fond dans ces dossiers, ce qui correspond à ma façon de travailler.
La guerre en Ukraine a accentué les problèmes d’approvisionnement dans les chaînes de valeur et les voix se multiplient pour une plus grande autonomie stratégique de l’Union européenne. Or, ceci nécessitera une relocalisation d’un certain nombre d’industries manufacturières en Europe. D’après votre opinion, la politique climatique européenne en général, et plus particulièrement celle du Luxembourg, est-elle compatible avec une plus grande autonomie stratégique ? Si oui, à quelles conditions ?
Le Luxembourg est un pays qui présente une démographie croissante et des ressources limitées. Le paysage économique et industriel va devoir évoluer de façon adaptée aux défis climatiques et environnementaux actuels.
On a besoin d’entreprises résilientes et diversifiées au Luxembourg afin de pouvoir contrer des crises, mais en même temps de façons de travailler qui respectent nos particularités territoriales restreintes. La hausse des prix de l’énergie et la dépendance de sources énergétiques étrangères mettent en exergue la nécessité de repenser nos modes de production actuels.
A cette fin, les travaux du Haut Comité pour l’industrie ont été relancés, avec notamment la création d’un groupe de travail chargé d’accompagner l’élaboration d’une étude stratégique sur l’industrie manufacturière à horizon 2040, tenant compte, entre autres, de la nécessité de décarboner les activités manufacturières. En parallèle, le ministère de l’Économie, le ministère de l’Énergie et de l’Aménagement du territoire ainsi que le ministère de l’Environnement, du Climat et du Développement durable établissent une feuille de route visant à soutenir l’industrie luxembourgeoise dans ses efforts de décarbonation.
Le Luxembourg affiche un objectif de 25% d’énergies en renouvelables en 2030. De l’autre côté, la crise énergétique actuelle pèse lourd dans le bilan des entreprises et crée des incertitudes. Or, pour permettre une décarbonation rapide, l’industrie a massivement besoin d’énergies renouvelables à prix abordables. De façon générale, comment la politique environnementale doit-elle être adaptée pour adresser les nouvelles contraintes et comment peut-elle contribuer à accélérer la transition énergétique ?
La crise climatique et énergétique que nous vivons au quotidien, ne nous laisse d’autre choix que d’intensifier nos efforts en matière de décarbonation de notre société. Un objectif incontournable donc, réalisable d’un point de vue technologique et également réaliste, si nous en faisons un vrai projet de société.
Au Luxembourg, la volonté politique d’œuvrer vers la neutralité climatique est claire et ceci s’est traduit, entre autres, par la mise en place successive d’un cadre réglementaire et politique. Fin 2019 déjà, le gouvernement avait déposé un projet de loi qui proposait d’arrêter l’objectif à long terme de la neutralité climatique, consistant à atteindre le « zéro émissions nettes » au Luxembourg d’ici 2050 au plus tard. Avec la loi du 15 décembre 2020 relative au climat, cet objectif a été consacré pour la première fois dans un texte de loi.
En parallèle, le ministère de l’Environnement, du Climat et du Développement durable, en collaboration avec l’ensemble des autres ministères concernés, a élaboré la stratégie nationale à long terme en matière d’action climat intitulée « Vers la neutralité climatique en 2050 ».
Pour revenir à la question du développement accéléré des sources d’énergies renouvelables, il faut souligner qu’autant il est important d’atteindre nos objectifs ambitieux en matière d’utilisation d’énergies renouvelables, autant l’atteinte de ces derniers ne pourra se faire aux dépens de la biodiversité et de la qualité de vie de nos citoyens. Au contraire, ces objectifs doivent être poursuivis en parallèle.
A cette fin, nous sommes en étroit échange avec les parties prenantes, les services du ministère de l’Énergie et de l’Aménagement du territoire ainsi qu’avec nos équipes en charge des autorisations pour faire le suivi des procédures.
La réussite de la transition énergétique de l’industrie manufacturière dépend en grande partie de la capacité de l’Europe à créer un cadre qui encourage les investissements dans les technologies à faible émission de carbone, notamment dans les industries intensives en énergie. Or, la politique climatique européenne actuelle n’est pas toujours efficiente en termes de coûts pour l’atteinte des objectifs climatiques, résultant dans un risque d’« investment leakage ». Que doit faire l’Europe, et le Luxembourg, pour éviter un « investment leakage » dans les technologies bas carbone ?
Afin d’éviter les fuites de carbone des industries de l’acier, de l’aluminium, du ciment, des fertilisants et de la production d’électricité régies par le système d’échange de quotas d’émission, la Commission européenne a proposé l’introduction d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (Carbon Border Adjustment Mecanism, CBAM). L’orientation générale adoptée au Conseil « Environnement » du 28 juin 2022 sur le futur système d’échange de quotas d’émission prévoit une période transitoire concernant la continuité de l’allocation gratuite de quotas pour l’industrie des métaux afin de permettre à l’industrie de faire face à l’« investment leakage ».
Les procédures d’autorisations au Luxembourg sont souvent considérées comme trop lentes. On a pu voir en Allemagne que la construction et l’exploitation d’une usine de taille gigantesque pour la production de batteries et de voitures électriques a vu le jour en moins de 3 ans, tout en respectant toutes les conditions au niveau de la protection de l’environnement. Ceci a notamment fonctionné par le biais d’une autorisation provisoire de construction octroyée par les autorités mais au risque de l’exploitant. Un tel modèle ne serait-il pas envisageable au Luxembourg ?
Les procédures d’autorisation en matière d’établissements classés, de protection de la nature et de gestion et de protection de l’eau sont assorties de délais précis ainsi que de dispositions concernant la consultation ou l’information du public. Il en est de même pour la procédure concernant l’évaluation des incidences sur l’environnement, dont la conclusion motivée est un prérequis pour ces autorisations. Il importe de préciser que des demandes d’autorisation bien établies du côté des requérants reprenant toutes les informations environnementales requises permettent de façon générale aux administration concernées de traiter les dossiers dans les délais prévus. L’agencement de grands projets en une phase chantier de gros œuvre et une phase site industriel est une pratique courante qui permet d’accélérer les dossiers complexes.
Il ne faut pas oublier que ce n’est pas seulement l’exploitation d’une usine ou autre projet qui risque de détériorer l’environnement mais que, le cas échéant, la construction même de ces projets peut déjà impacter l’environnement, notamment la nappe phréatique ou les zones ou espèces protégées. Le Luxembourg n’a qu’une surface très réduite et ne présente guère d‘endroits pour lesquels aucun de ces risques n’est donné. Ainsi, il est indispensable d’analyser ces impacts en amont de toute intervention. Une intervention faite hors connaissance des impacts risque en effet de compromettre de façon irréversible les biens environnementaux à protéger. Finalement, nous avons au Luxembourg un modèle basé sur des consultations publiques avant la prise de décision qui a fait ses preuves ; émettre une « autorisation provisoire de construire » reviendrait à court-circuiter cet outil important de participation du public et risquerait d’affaiblir l’acceptation des projets en question.
De ce fait, un modèle d’« autorisation provisoire de construire » n’est guère adapté à notre situation.
La digitalisation des procédures d’autorisations n’est pas une fin en soi, mais doit pouvoir engendrer une simplification administrative et un gain de temps. En faisant le lien avec la question précédente et en sachant que l’autorisation d’exploitation est largement basée sur le respect d’un certain nombre de critères, un traitement automatisé des dossiers d’exploitations résultant dans une autorisation provisoire de construction ou d’exploitation ne serait-il pas envisageable ?
Les procédures d’autorisations en Allemagne ne sont pas à 100 %
comparables à celles du Luxembourg. Il y a d’une part les obligations législatives européennes qui sont transposées aves certaines variations nationales et d’autre part les obligations législatives nationales que chaque pays fixe en fonction de ses structures et besoins.
Au vu de la taille réduite du pays, de ses ressources limitées et de la pression sur les ressources naturelles, il est particulièrement important que le Luxembourg veille à un développement durable du pays. L’encadrement de projets pour lesquels une appréciation individuelle des impacts sur l’environnement n’est pas nécessaire, dans la mesure où leurs impacts ne varient guère en fonction des alentours, est de plus en plus souvent réalisé par règlements grand-ducaux. À titre d’exemple, on peut citer les règlements grand-ducaux de la classe 4 en matière d’établissements classés (« commodo ») où le projet de règlement grand-ducal est en cours de législation, ce qui va davantage fixer des classes 4.
Par contre, pour les projets qui nécessitent une appréciation individuelle des impacts environnementaux, il reste indispensable de vérifier les impacts avant que la construction ne soit entamée, car la construction-même peut engendrer des dommages et nuisances, comme c’est le cas p. ex. pour toute intervention dans la nappe phréatique ou près de zones de protection ou espèces protégées. Les autorisations « provisoires » allemandes ne sont d’ailleurs émises que si rien ne laisse indiquer qu’une autorisation ne pourrait être accordée, sans préjudice.
Cela dit et comme indiqué précédemment, d’importants efforts de digitalisation des procédures sont en cours auprès de nos trois administrations.
Votre prédécesseur a lancé la stratégie « zéro déchets » avec 5 initiatives législatives, toutes adoptées fin avril 2022. Ces textes suscitent cependant des critiques quant au rapport coût-efficacité de certaines mesures. Dans un contexte d’inflation générale, une mise en cause par rapport à des moyens moins coûteux ne serait-elle pas nécessaire ?
L’impact environnemental de la gestion des ressources n’est souvent pas associé à une valeur monétaire. Les coûts indirects sur l’environnement sont rarement compris dans les prix de nos produits. L’atteinte des objectifs en matière de protection du climat ainsi que la réalisation des objectifs de l’Agenda 2030 nécessitent un changement de notre façon de produire et de consommer. Nous devons quitter l’approche de la production linéaire et de la consommation rapide de nos ressources et soutenir la transition des modèles économiques vers une économie circulaire. Nous devons donc nous engager dans ce processus de mise en œuvre du cadre légal qui a été voté récemment. Il me semble évident que nous devons considérer dans ce processus la réalité économique des différents secteurs avec lesquels je suis actuellement en dialogue, mais nous ne devons pas perde de vue les crises environnementales qui ont un effet et un coût pour toute la société.