Depuis fin 2018, vous dirigez le ministère de la Digitalisation, un ministère nouvellement créé pour faire avancer la digitalisation. Si vous passez en revue les 18 derniers mois, quel est votre bilan et quels sont les projets phares actuellement coordonnés par votre ministère ?

Mettre sur pied un nouveau ministère n’est pas une mince affaire. Il s’agit d’une aventure exigeante qui réclame un engagement sans faille. Être capable d’assurer d’emblée toutes les tâches qui nous incombent – avec un effectif qui se comptait sur les doigts d’une main pendant de longues semaines – a été un défi de taille, mais gratifiant sur la durée.

Mais ce qui m’a marqué le plus depuis ma nomination comme ministre délégué à la Digitalisation, ce sont les quelques mois qui viennent de s’écouler. La crise du COVID-19 et le confinement qui s’en est suivi sont inédits dans notre histoire récente. Au-delà de l’aspect humain de cette crise, le ministère a dû faire face à une kyrielle de demandes de la part de tous les ministères et administrations. Il s’agissait aussi bien de la mise en place d’un large nombre de démarches administratives que de demandes en matériel et accès informatiques. Tout cela a dû être géré en un temps record.

Néanmoins, cela n’efface pas tout à fait le travail accompli les mois précédents. Le débat de consultation à la Chambre des députés, par exemple, et notre enquête auprès de la population sur leurs attentes du numérique. La création de la première blockchain du secteur public, le cadre national d’interopérabilité que nous avons passé en Conseil de gouvernement ou bien notre implication dans la vision stratégique à l’égard de l’intelligence artificielle. Sans compter tous les projets en cours de préparation. Il ne s’agit là que d’un échantillon fragmenté de tout le travail abattu par les équipes du ministère et du Centre des technologies de l’information de l’État.

 

La crise du COVID-19 constitue un indicateur pertinent permettant de vérifier le véritable degré d’e-administration de notre pays à l’épreuve du confinement. Force est de constater que l’utilisation des démarches en ligne disponibles a considérablement augmenté. Quel est votre constat et quelles sont selon vous les leçons à en tirer pour l’avenir ?

Les circonstances exceptionnelles, voire dramatiques, de cette année ont mis un coup d’accélérateur notable à l’utilisation des services en ligne de l’État. Les chiffres sont éloquents : du 23 mars au 5 juin, par exemple, près d’une vingtaine de démarches administratives ayant trait directement au confinement dû au COVID-19 ont été publiées sur MyGuichet.lu, le portail transactionnel du gouvernement. Et il y en a encore en préparation.

Un autre chiffre révélateur : plus de 400.000 démarches ont été transmises à l’État via MyGuichet.lu au cours des 6 premiers mois de l’année 2020. A titre de comparaison, ce chiffre se situait autour des 250.000 pour la même période en 2019. Le portail informationnel Guichet.lu, quant à lui, a connu un pic de visites de 44.000 visiteurs en un seul jour. Ce chiffre avoisinait les 25.000 en 2019.

Les services numériques ont donc été un élément essentiel en période de confinement. Nul ne saurait imaginer ce qu’il serait advenu si la possibilité de faire toutes ces démarches sans sortir de chez soi n’avait pas existé ou n’avait pas fonctionné correctement. Les équipes du Centre des technologies de l’information de l’État ont travaillé d’arrache-pied pour fournir un service efficace et rapide aussi bien aux citoyens et aux entreprises, qu’aux entités de l’État.

 

Cette crise est considérée comme moteur de la transformation numérique de la société et des entreprises. Est-ce qu’elle est également propice pour donner un nouvel élan à l’agenda du e-gouvernement et d’autres projets de digitalisation ?

Comme je le disais à l’instant, le numérique a été essentiel pendant cette crise. Il n’est pas une solution à tout, bien entendu, mais le fait de pouvoir travailler à distance, en restant chez soi, par exemple, a permis à la Fonction publique de répondre présent et de continuer à servir les intérêts des citoyens et des entreprises.

Le télétravail est certainement un des aspects à analyser en détail. Il faut se pencher sur les avantages et les inconvénients de cette forme de travail et l’envisager dans toute la complexité qui lui est propre notamment quant aux défis technologiques qu’il engendre. Il s’agit d’un projet qui me tient à cœur et qui démontre la complémentarité de mes fonctions de ministre délégué à la Digitalisation et de ministre de la Fonction publique.

En ce qui concerne l’agenda du eGovernment, cette crise lui a donné un sérieux coup d’accélérateur. Notre volonté est d’aller au-delà du concept de eGovernment, pour arriver au gouvernement numérique tel que préconisé par les instances internationales et qui peut se résumer en ces quelques mots : la co-création de services publics innovants pour les citoyens et les entreprises. Cette crise a ajouté une composante que nul n’ose plus mettre en doute : la nécessité impérieuse d’accélérer la digitalisation au service de tous.

Je tiens d’ailleurs à préciser à ce propos que j’ai constaté ces derniers mois la simplification d’un certain nombre de procédures internes à l’État. Nous devons nous appuyer sur cet élan pragmatique et poursuivre sur cette voie. Un exemple de ce pragmatisme s’est exprimé dans le domaine des signatures de documents internes à l’État. Confinement oblige, il a été nécessaire de pouvoir signer des documents à distance, donc de manière digitale. Ce qui était impossible jusqu’alors, est devenu possible en l’espace de quelques jours.

Afin d’apporter de la stabilité à ce qui a été fait dans le feu de l’action, le ministère et le CTIE travaillent actuellement à l’élaboration d’une plateforme dédiée à cet effet, car un « signataire électronique » est certainement une simplification administrative essentielle, même hors période de confinement. Si cette expérience s’avère réussie et une fois toutes les contraintes techniques et légales résolues, on pourrait envisager d’étendre cette signature électronique étatique aux échanges entre l’État et les citoyens et les entreprises pour faire profiter la société de ce gain de temps et d’énergie, sans parler de la réduction de l’empreinte écologique que cela entraînerait.

 

Début juin 2020, la Commission européenne a publié le Digital Economy and Society Index (DESI), un rapport qui suit les progrès réalisés par les États membres concernant leur transformation numérique. Quelles conclusions en tirez-vous ?

D’après le DESI 2020 de la Commission européenne, le Luxembourg grimpe deux échelons pour ce qui est des services publics numériques et s’installe à la 14e place. Ces résultats se basent sur des chiffres antérieurs à la crise du COVID-19 et sont principalement dus aux services publics numériques pour les entreprises, une catégorie dans laquelle le Luxembourg excelle avec un score de 99 sur 100, loin au-dessus de la moyenne européenne de 88. De plus, la performance globale sur les services publics numériques a connu une progression plus rapide que la moyenne de l’UE-28 et le Luxembourg se démarque positivement pour ce qui est des formulaires en ligne pré-remplis.

Ces progrès significatifs nous réjouissent, bien évidemment. Ils démontrent que nous sommes sur la bonne voie et notre motivation à persister dans l’effort s’en voit décuplée. Néanmoins, les chiffres nous rappellent également que notre marge de progression est encore conséquente. Et le DESI relève également plusieurs indicateurs moins performants ou en perte de vitesse. Donc, il y a encore matière à faire mieux. Dès lors, le ministère est en train de passer au crible tous ces résultats, positifs ou négatifs, pour mieux en comprendre les raisons et pour adapter les actions du ministère aux enjeux du numérique.

 

Le futur sera digital et ces derniers mois nous ont rappelé l’importance de l’ICT. Que conseilleriez-vous à un jeune s’intéressant à ce domaine ?

Le domaine des TIC est vaste et offre de nombreux débouchés, dont la plupart n’existent probablement pas encore à l’heure qu’il est ! Donc je lui conseillerais surtout d’être curieux de tout, d’oser se lancer et d’envisager cette voie avec enthousiasme et entrain car c’est une aventure qui promet d’être riche et palpitante !