Monsieur Thein, en janvier de cette année, les installations de production de Solarcells, dont vous êtes le président du conseil d’administration, ont été officiellement inaugurées. Pouvez-vous nous relater comment est née l’idée de créer une société qui produit des panneaux photovoltaïques au Luxembourg ?

En 2022, nous étions confrontés à des ruptures de stocks et à des livraisons tardives de panneaux photovoltaïques en provenance des pays d’Asie. Face à ces problèmes, nous avons décidé de travailler avec des producteurs européens, et donc nous avons effectué des visites dans des usines proches du Luxembourg.

En voyant les sites de production, on a eu une première idée, c’est-à-dire de convaincre un de ces fabricants de venir s’installer au Luxembourg. Ensuite, et après quelques discussions internes, nous avons commencé de faire des calculs de rentabilité et d’établir un business plan avec l’idée de produire nous-mêmes. Nous avons trouvé rapidement un partenaire, car sans expérience dans ce domaine le risque de faire les mêmes erreurs que ces fabricants confirmés était quand même élevé. En Belgasolar de Marche-en-Famenne, nous avons trouvé le partenaire idéal (partenariat : 87,5% Socom Participation S.A. et 12,5% Belgasolar), et rapidement les décisions étaient prises.

Depuis l’annonce du projet jusqu’au démarrage de la production très peu de temps s’est écoulé. Alors que beaucoup fustigent la lenteur et la lourdeur des procédures et autorisations, la création de Solarcells montre qu’il est possible de rapidement mettre en place un projet industriel au Grand-Duché. Quels ont été les moteurs de cette réussite : les bons partenaires, l’urgence du marché, la persévérance ?

Il était important de commencer la production très rapidement. Le plus important était de trouver un hall de production, pouvant accueillir facilement la chaîne de production (100m de longueur sur ca. 30m de largeur). Nous avons eu la chance de trouver le site à Hollerich, déjà un site industriel, donc nécessitant peu de démarches commodo/incommodo, et avec des propriétaires venant de l’industrie et connaissant les problèmes liés à ce genre d’implantation. Le ministre de l’Économie et le ministère de l’Énergie nous ont aidés au niveau administratif. Nos services ont toujours réagi très rapidement à toutes les demandes que les différentes instances nous ont soumises (ministère de l’Environnement, Ville de Luxembourg, ITM, …) et les contacts avec les différents intervenants étaient à tout moment très conviviaux et très positifs.

À quoi ressemble votre chaîne de production. Quelles sont les sources d’approvisionnement de Solarcells et comment s’organise la commercialisation ?

Notre chaîne est fully automatic, c’est-à-dire en principe elle pourrait fonctionner sans intervention humaine. Les seuls points où des personnes doivent intervenir sont les points de contrôle « qualité ». Nous comptons 6 (six) points de contrôle qualité, ce qui est la grande différence entre nos panneaux et les panneaux asiatiques. La qualité est garantie à 100% à la sortie de l’usine.

Concernant l’approvisionnement, nous cherchons de plus en plus de collaborations en Europe. Actuellement, les cellules viennent d’Asie, car aucun producteur européen n’a les capacités de livrer les cellules en nombre suffisant pour satisfaire les besoins de l’Europe. Ceci pourrait changer dans les deux ans à venir. Au début de notre production, nous achetions également les plaques de verre en Vietnam, mais entre-temps nous avons trouvé le bon partenaire, allemand cette fois-ci, pour nous livrer la quantité et surtout la qualité demandée. Nous achetons les connecteurs en Europe, mais ceux-ci sont produits en Chine. Pour ce produit aussi, il y aura un changement dans les semaines à venir, car nous avons trouvé un fabricant européen et les négociations sont en cours. Tous les autres éléments viennent d’Europe (EVA, silicone, colle, …). Dès qu’un approvisionnement en Europe est possible, nous pourrons changer facilement notre filière et réagir dans un laps de temps.

Aujourd’hui la Chine, en surcapacité, domine largement le marché du photovoltaïque et les prix des panneaux solaires chinois sont en chute libre depuis un an. Ne faut-il pas être particulièrement courageux pour lancer du « Made in Luxembourg » et affronter cette concurrence? Comment comptez-vous assurer la compétitivité des produits de Solarcells ?

Lors de la prise de décision de lancer cette production, la différence de prix entre un panneau chinois et un panneau Solarcells était de 15 à 20%. Aujourd’hui, on parle facilement de 100% ! Les panneaux chinois sont sur-subsidiés par l’État chinois, ceci en réaction à la politique des États-Unis et à la crise en Chine. Nous produisons un produit de qualité, un produit local et un produit à faible émission (en production). Nous avons pensé la chaîne de A à Z en tenant même compte des caisses de transport (produites par No-Nail Boxes au Luxembourg, et à multiples usages) et de l’emballage du panneau, qui est totalement inexistant chez nous, c’est-à-dire aucun emballage, ni en plastique ni en carton !

Le prix des panneaux dans l’installation complète joue un rôle infime dans le prix total (ca.10 à 12%). En tenant compte des subsides versés par l’État et les communes, cette différence diminue encore, et donc ceci ne devrait pas influencer la décision du client final.

Face à cette concurrence chinoise et à l’Inflation Reduction Act aux États-Unis, l’UE a riposté en mars 2023 avec le Net Zero Industry Act, proposé par la Commission européenne, fixant pour objectif que « la capacité totale de fabrication de technologies stratégiques à zéro émission nette de l’UE approche ou atteigne au moins 40% des besoins de déploiement annuels d’ici 2030 ». Selon vous, quelles mesures concrètes devraient être mises en place pour voir renaître une nouvelle génération de fabricants de panneaux solaires photovoltaïques en Europe.

Actuellement, nous sommes impliqués dans des négociations avec le Parlement européen concernant les mesures à prendre pour relancer les fabricants européens et favoriser l’entrepreneuriat européen !

Nous avons plusieurs propositions sur table, dont la plus jouable à nos yeux serait celle de subventionner davantage les panneaux européens par rapport aux panneaux venant d’un marché extérieur. Il nous semble bien que la volonté de surtaxer les importations chinoises n’est pas une solution « acceptable » pour l’UE, donc il faut inciter les citoyens européens à acheter « européen », donc en accordant des subsides plus importants pour l’achat / l’installation de produits européens. Si l’État verse aujourd’hui 62,5% de subsides pour toute installation photovoltaïque, on pourrait imaginer que la différence du choix entre des panneaux et onduleurs asiatiques ou alors européens pourrait représenter quelque 10 à 15% au niveau des subsides.

De manière plus générale, l’objectif d’une autonomie stratégique ouverte de l’Union européenne, régulièrement affiché dans le cadre des politiques industrielles et commerciales, est-il réaliste ? Jusqu’à quel degré ?

Il est important de savoir qu’une bonne partie du savoir-faire chinois provient quand-même de l’Europe. Les premiers panneaux photovoltaïques ont été produits en Europe et non pas en Chine ! La stratégie industrielle de la Chine est très intelligente et elle a bien caché son jeu pendant de longues années. Le marché de la « copie européenne » avait la tendance de fâcher les industrielles européens (et américains) de façon à ce qu’ils décidaient de s’implanter en Chine. En conséquence, et sous l’influence de marges bénéficiaires plus importantes, la Chine est devenue un pays « industrialisé » avec l’aide des pays de l’Ouest.

Aujourd’hui, l’Europe et l’Amérique font marche arrière, l’Amérique beaucoup plus que l’Europe. Mais ne serait-ce pas trop tard ? Petit à petit, la Chine s’est approprié les terres riches en ressources naturelles ; les dimensions géographiques du pays aident bien sûr à toujours trouver facilement des sites pour l’installation des fabriques nécessaires et la politique interne aide la promotion de l’industrie intégrée. Comment réagir alors à ce géant qui avance à grands pas, quand l’Europe discute à longueur de journée si on peut subsidier des fabriques de panneaux photovoltaïque ou non (juste pour information : Solarcells n’a reçu aucune subvention, ni européenne, ni luxembourgeoise, avec les arguments suivants: produit pas innovatif, société trop grande, située dans une région (Luxembourg-Ville) dont le marché de travail est pratiquement saturé).

Nous et nos confrères européens – parce qu’il ne faut oublier qu’il y a beaucoup d’autres fabricants de panneaux, répartis un peu partout en Europe – restons optimistes et nous espérons que nos politiques feront le nécessaire dans les années à venir afin de trouver la parade à cette attaque économique d’un soi-disant partenaire économique.