Ayant repris la relève du commissaire au numérique en juillet 2017, quel a été votre plus grand engagement envers les entreprises européennes ?
Au cours de la dernière année, nous avons assisté à la réalisation de mesures concrètes qui soulignent l’impulsion que nous voulons donner aux entreprises européennes.
La Commission européenne a récemment proposé une réforme du système d’imposition des sociétés et des mesures provisoires pour garantir que les activités commerciales numériques soient taxées de manière équitable et favorable à la croissance. Ainsi les ventes en ligne seront facilitées par des règles de TVA plus simples et plus efficaces pour les start-ups et les PME. Le cadre fiscal devrait garantir la sécurité fiscale pour les investissements des entreprises et éviter les distorsions de concurrence ou les nouvelles échappatoires fiscales émergeant dans le marché unique. Il devrait également garantir des recettes fiscales durables pour les États membres.
Sur la scène mondiale, l’Union européenne s’affirme comme un défenseur d’une politique de pointe qui réagit dynamiquement aux opportunités et aux défis de la révolution numérique, que ce soit dans le domaine de la protection des données et des consommateurs, de la vie privée ou des plateformes en ligne.
Ainsi, les données personnelles des citoyens de l’UE sont protégées par les normes les plus strictes au monde. Vu la taille du marché intérieur et des entreprises internationales qui y agissent, l’UE a établi l’étalon-or mondial dans ce domaine ; plus de la moitié des multinationales américaines affirment que la conformité au RGPD est leur priorité absolue en matière de protection des données.
La protection des données personnelles des citoyens de l’UE a toujours été la priorité de la Commission européenne. La preuve en est le règlement général sur la protection des données (RGPD) qui est maintenant entré en vigueur dans tous les États membres de l’UE. Je suis fier que l’Union européenne établisse des normes élevées de protection des données adaptées à l’économie numérique. C’est une bonne nouvelle pour les citoyens. Leurs données seront maintenant mieux protégées. Ils auront également de nouveaux droits : le droit à l’information sur la façon dont leurs données sont utilisées, le droit d’accéder à leurs informations et, si nécessaire, le droit renforcé d’être oublié. En outre, les citoyens auront également un nouveau droit à la portabilité des données leur permettant de transférer leurs données d’une entreprise à l’autre.
Il fournit également des éclaircissements aux entreprises qui bénéficieront d’un ensemble de règles dans toute l’Union. Et bien sûr, les mêmes règles s’appliquent à toutes les entreprises offrant des services dans l’UE, même si ces entreprises sont basées en dehors de l’UE.
Comment expliquez-vous qu’un nombre d’entreprises européennes, PME ou start-ups ont du mal à devenir des leaders mondiaux ?
Il n’y a pas une seule réponse, mais des éléments de réponse pour expliquer les difficultés des PMEs et es start-ups européennes à devenir leaders mondiaux.
En Europe, les PMEs et les start-ups font face à diverses barrières à la croissance, par exemple, l’accès aux compétences techniques, l’accès au financement et aux grands marchés, le tout dans un monde où ceux-ci se consolident naturellement autour de plateformes dominantes, qui ne sont pas souvent européennes. L’UE cherche à remédier la fragmentation de marché en développant un marché unique européen.
Les start-ups cherchent en général à accéder à une compétence devenue plutôt rare : l’accès à de bons développeurs. Ces derniers ont accès aux instruments de développement logiciels de pointe et travaillent à la fois rapidement en fournissant les services de haute qualité – les deux n’étant pas toujours compatibles. Les start-ups embauchent souvent les développeurs lorsqu’ils sont jeunes et encore abordables ; mais aussi très mobiles. En Europe, ils sont raisonnablement rémunérés, mais pas autant qu’aux États-Unis où leur salaire annuel dépasse le montant de 120.000 USD.
D’autres compétences rares sont également demandées, notamment des experts en déploiement d’applications dans le cloud (nuage informatique) et dans le cyber sécurité.
Les mass media ont donné l’impression que les failles existaient et étaient faciles dans le numérique, que l’innovation pouvait être à la portée de tous parce que le développement logiciel ne coûtait pas cher. Mais la technique n’est pas la seule clé pour créer des entreprises de succès. Le capital l’est tout autant pour acquérir des clients et générer des leaders mondiaux.
La Commission est particulièrement attentive à promouvoir le développement des start-ups et PME, notamment à travers du projet Startup Europe. Cette initiative de la Commission européenne est conçue pour connecter les start-ups, les investisseurs, les accélérateurs, les entrepreneurs, les réseaux d’entreprise, les universités et les médias à travers un réseau de réseaux. En outre, il a l’intention de relier les écosystèmes locaux de démarrage et d’améliorer leur capacité à investir ensemble dans des start-ups à travers l’Europe. À noter aussi que Startup Europe célèbre le succès des entrepreneurs européens, en le rendant visible et gratifiant via leS Startup Europe Awards.
L’enjeu est de permettre aux start-ups de lever les montants importants sous forme de capital risque que leur développement nécessite, souvent de l’ordre de plusieurs centaines de millions d’USD. Uber a levé, à ce jour, plus de 15 milliards d’USD dont plus de la moitié en capita. C’est un record pour une start-up américaine et même mondiale. Pinterest, qui n’a pas encore de véritable modèle économique a levé plus de 1 milliard d’USD. Pour lever de tels montants énormes et devenir leader sur la plupart des marchés du numérique, il faut être présent sur le marché américain, ce qui est très coûteux. Ces montants permettent soit d’aller très vite dans la conquête des marchés, soit de tenir le coup sur le long terme en attendant d’atteindre une hypothétique profitabilité.
Afin de combler l’écart actuel en matière d’investissement dans le numérique, la Commission propose dans le cadre financier pluriannuel 2021-27 de doubler notre effort budgétaire pour la transformation digitale de l’Europe, avec une enveloppe de l’ordre de 30 milliards d’EUR. Il s’agit notamment de mettre en place un nouveau programme “Digital Europe” de 9.2 milliards d’EUR pour une Europe numérique afin de façonner et d’accompagner la transformation numérique de la société européenne et d’investir dans des capacités stratégiques pour l’Europe. Ces investissements seront complétés par le mécanisme d’interconnexion en Europe (3 milliards d’EUR) pour financier les infrastructures transfrontalières et le Wifi4EU, par un budget d’environ 16 milliards d’EUR qui ciblera des projets dans les secteurs de la recherche, de l’innovation et du numérique et enfin par un budget MEDIA destiné à soutenir la compétitivité des industries audiovisuels. Bien évidemment, les fonds structurels et les budgets nationaux et régionaux contribueront de surcroit à cet effort dans toutes les régions d’Europe.
Enfin, le nouveau programme européen de recherche, Horizon Europe, aidera l’Europe à rester très compétitive et aux avant-postes de la recherche et de l’innovation mondiales. Avec en budget 102 milliards d’EUR sur sept ans, Horizon Europe permettra à l’Union de concurrencer les autres économies développées et les économies émergentes, et de bâtir un avenir prospère pour ses entreprises en préservant son modèle social unique. En particulier, la Commission européenne propose aussi de mettre en place dans le prochain cadre financier pluriannuel, un nouveau fonds d’investissement pleinement intégré, InvestEU. Ce fond permettra de mobiliser d’importantes ressources privées en vue de procéder à des investissements indispensables, par exemple dans les infrastructures pour l’innovation. Doté d’un budget de 15,2 milliards d’EUR, InvestEU devrait mobiliser des investissements supplémentaires pour plus de 650 milliards d’EUR à travers l’Europe.
Comment pouvons-nous obtenir une meilleure adéquation entre l’impact de la robotique, de la digitalisation puis de l’Intelligence Artificielle et les compétences disponibles ?
Les prédictions concernant l’impact sur le marché du travail des technologies d’intelligence artificielle (IA) et de la robotique varient. Le nombre de systèmes basés sur l’IA et les robots augmentera dans la plupart des domaines et cela entrainera des changements profonds dans les activités professionnelles. Des emplois seront créés, d’autres disparaîtront, beaucoup seront transformés. L’effet net global fait l’objet d’un débat. Certaines études, comme Frey et Osborne (2015), estiment que 47% des emplois risquent d’être automatisés alors qu’une étude de l’OCDE (2016) place ce risque à seulement 9%. Une étude réalisée en 2015 par l’institut Fraunhofer au niveau des entreprises indique que l’effet net global serait neutre en Europe.
La robotisation contribue aussi à maintenir des chaînes de production en Europe ou même à ramener des productions aujourd’hui externalisées vers l’Europe, car les robots réduisent les coûts et permettent donc à ces entreprises d’être compétitives dans des régions à hauts salaires. En outre, il faut souligner que ces technologies sont aussi largement employées dans des domaines de travail dangereux pour les humains, tels que le soudage des pièces métalliques, l’inspection de réservoirs de produits toxiques ou le tri des déchets nucléaires.
Dans un avenir prévisible, les humains seront toujours nécessaires en grand nombre parce que les robots ne pourront les remplacer que dans certaines tâches, souvent les moins intéressantes. Les employés du futur devront utiliser ces systèmes mais aussi les concevoir, les maintenir et les superviser. Cela pose la question des compétences techniques et non techniques qui seront nécessaires et que les systèmes d’éducation et de formation continue actuels ne fournissent pas encore pleinement. Préparer les citoyens européens à cette transformation est donc essentiel et cela implique de repenser les systèmes d’éducation et de formation.
Ces préoccupations sont précisément le focus du deuxième pilier de la stratégie globale ambitieuse pour l’intelligence artificielle en Europe publiée par la Commission le 25 avril 2018. Ce pilier a pour objectif de préparer les changements socio-économiques provoqués par l’IA en encourageant la modernisation des systèmes d’éducation et de formation, en soutenant les talents et en anticipant les changements sur le marché du travail. En termes de compétences, l’UE doit faire face à trois défis.
Le premier défi est d’aider les Européens à développer des compétences numériques de base nécessaires pour évoluer sur le marché du travail, ainsi que des compétences complémentaires ne pouvant être remplacées par une machine telle que la pensée critique, la créativité ou le management. Cela sera réalisé par des programmes tels que les stages d’opportunités numériques (Digital Opportunity Traineeships), la coalition pour les compétences numériques et l’emploi (Digital Skills and Jobs Coalition), la nouvelle stratégie pour les compétences en Europe (New Skills Agenda for Europe) et le plan d’éducation numérique (Digital Education Plan).
Le deuxième défi est d’accompagner les travailleurs dans les emplois susceptibles d’être les plus transformés, ou de disparaître en raison de l’automatisation basée sur l’intelligence artificielle. La Commission établira cette année, en lien avec le plan d’action sur la coopération sectorielle en matière de compétences (Blueprint for Sectoral Cooperation on Skills) et avec le soutien financier du Fonds social européen, des programmes de formation et de perfectionnement s’adressant spécifiquement aux profils professionnels risquant d’être automatisés. Ces systèmes de formation regrouperont des entreprises, des syndicats, des établissements d’enseignement supérieur et des autorités publiques.
Le troisième défi est de former plus de spécialistes en intelligence artificielle. L’Union européenne doit s’appuyer sur sa longue tradition d’excellence académique pour encourager les meilleurs étudiants et orienter plus d’entre eux vers ces secteurs. L’UE doit promouvoir la diversité et l’interdisciplinarité et travailler à la création d’un environnement attrayant pour conserver nos talents et attirer plus de talents étrangers.
Le défi est important, mais tous ensemble, la Commission européenne, les États membres, l’industrie et les universités européennes, nous pouvons le relever et faire de l’Europe le meilleur endroit pour investir dans l’intelligence artificielle, pour les citoyens européens, dans le respect de nos valeurs fondamentales.
Comment mêler libre circulation des données et respect de la vie privée ?
L’une des priorités de la Commission actuelle est l’adaptation du marché unique européen à l’ère digitale afin de bâtir une économie européenne compétitive basée sur la libre circulation des données tout en respectant les valeurs fondamentales de l’Union notamment celle de la vie privée. Cet équilibre à la fois délicat et ambitieux se matérialise au sein de l’Union à travers un triptyque de trois règlements européens complémentaires.
Tout d’abord, le nouveau règlement général sur la protection des gonnées (RGPD) qui est entré en application le 25 mai dernier modifie et met à jour les règles de protection des données au niveau de l’UE afin de rendre l’Europe adaptée à l’ère numérique.
Avec un ensemble unique de règles directement applicables dans les ordres juridiques internes des États membres, le règlement garantie le libre flux des données à caractère personnel entre les États membres de l’UE et renforce la confiance et la sécurité des consommateurs, deux éléments indispensables en vue d’un marché unique numérique à part entière.
Le règlement pose un cadre juridique harmonisé aboutissant à une application uniforme des règles, au profit du marché unique numérique de l’UE. Il définit un ensemble unique de règles pour les citoyens et les entreprises. Un mécanisme de guichet unique est introduit pour les entreprises qui mènent des activités de traitement transfrontalier, qui n’auront à traiter qu’avec une seule autorité nationale de contrôle de la protection des données. Cela garantit une application uniforme et cohérente des dispositions dans tous les États membres de l’UE.
Ensuite, une proposition de règlement complémentaire établissant la libre circulation des données à caractère non personnel au sein de l’Union et prévoyant l’interdiction pour les États membres d’imposer des restrictions de localisation de ces données à des fins de stockage et de traitement. Cette proposition identifie notamment comme pierres angulaires le portage et la sécurité des données afin d’en permettre la libre circulation.
Enfin, la directive actuelle concernant le traitement des données à caractère personnel et à la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques (directive « vie privée et communications électroniques ») garantit, elle aussi, la libre circulation des données, équipements et services de communications électroniques dans l’Union. Ce principe a été maintenu dans la proposition de règlement « vie privée et communications électroniques » qui est censé remplacer ladite directive. Cette proposition de règlement, quant à elle, transpose en droit dérivé de l’Union le droit fondamental au respect de la vie privée, en ce qui concerne les communications tel qu’il est consacré à l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union. La proposition de règlement faite par la Commission en janvier 2017 est actuellement en cours d’examen par les co-législateurs. Tandis que le Parlement européen s’est déjà positionné vis-à-vis de la proposition en octobre 2017, le Conseil quant à lui n’a pas encore trouvé son orientation générale. La Commission espère que le Conseil aboutira à trouver une position très prochainement, ce qui permettrait aux co-législateurs d’entamer des négociations interinstitutionnelles afin d’approuver le texte final du règlement.
Votre mandat et celui de la Commission venant à son terme, comment garantir que l’accélération des négociations de finalisation des initiatives lancées ne porte pas préjudice à la qualité du marché unique numérique ?
Un certain nombre de propositions importantes de la Stratégie du marché unique européen (DSM) sont encore en cours de négociation par les co-législateurs. Nous devons à nos citoyens et à nos entreprises la conclusion d’un accord le plus tôt possible.
Pour autant la Commission ne sacrifie pas la qualité de la négociation à la vitesse. L’exemple tout récent de l’accord politique autour du Code des télécom ou de la directive des services de médias audiovisuels l’illustrent : ces accords conservent l’ambition de la proposition initiale de la Commission, comme auparavant cela avait été le cas avec le règlement sur le géoblocage ou la portabilité.
Je crois que l’avancement et la qualité des négociations actuelles sur le marché unique du numérique sont liés surtout à l’alignement très important qui existe entre les institutions européennes – Commission, Conseil et Parlement, pour le faire avancer vite. Il existe un consensus fort autour de ce sujet qui s’est exprimé par exemple par les messages politiques au plus haut niveau exprimés à Tallinn ou récemment à Sofia par chefs d’état et de gouvernement.
Au-delà du cadre réglementaire, des mesures non législatives, prenant la forme d’une coopération ou d’un financement au niveau de l’UE, constituent aussi une partie importante des initiatives de la stratégie DSM.
Je suis très reconnaissante de la coopération étroite avec les États membres, le Parlement européen et l’industrie pour mettre en œuvre un certain nombre d’initiatives importantes pour numériser l’industrie européenne et les services publics, renforcer les compétences numériques et stimuler la recherche et le développement en TIC (par exemple en cybersécurité, calcul de haute performance (HPC) et IA).
Grâce à la coopération à l’échelle de l’UE, à l’investissement et à l’échange des meilleures pratiques, nous pouvons accomplir davantage ensemble.