Une transition numérique réussie est la clé d’une reprise durable. Selon vous, comment l’Union européenne et le Luxembourg peuvent-ils renforcer leurs capacités numériques et leur compétitivité en la matière ?
Nous devons être réalistes et ambitieux en même temps. Il nous a fallu du temps pour réaliser que la transformation numérique est une véritable opportunité, un moyen pour améliorer et faciliter notre vie. La crise actuelle a accéléré la transformation numérique à plusieurs niveaux, mais ces derniers mois ont malheureusement aussi montré que nous avons atteint nos limites et que nous sommes « vulnérables » par notre dépendance à d’autres régions dans le monde.
L’Europe a perdu son avance dans le domaine des nouvelles technologies et nous devons intensifier nos efforts tant sur le plan politique, réglementaire, technologique et des compétences pour rattraper l’écart par rapport aux Etats-Unis et aux pays asiatiques. J’ai eu l’opportunité de voir de plus près comment les entreprises américaines se lancent, selon le principe trial and error, pendant que nous, les Européens, nous avons souvent tendance à hésiter avant de nous investir. De plus, nous sommes entièrement dépendants des pays d’Asie en ce qui concerne les matières premières. Si aujourd’hui nous sommes, par exemple, confrontés à une pénurie de semi-conducteurs, ce n’est pas à cause du Covid ou parce qu’il y a eu un navire bloqué dans le canal Suez, mais parce que nous avons totalement perdu notre souveraineté en la matière. Dans les années 1990, le marché des puces électroniques a été dominé par les Etats-Unis, le Japon et les pays de l’Europe. Il n’y pas si longtemps, plus de 40% des semi-conducteurs étaient fabriqués en Europe – contre moins de 10% aujourd’hui. Il n’existe pas de level playing field dans la transformation numérique. Donc, il faut des investissements et un changement dans l’approche.
La bonne nouvelle est que la Commission européenne ainsi que la grande majorité des pays membres de l’UE ont réalisé que le problème est réel et va au-delà d’une simple perte de marché. Il s’agit d’une question fondamentale de souveraineté technologique et politique. Justement, ces derniers mois des annonces sur des programmes de relance avec un focus dans le secteur du numérique et de la souveraineté technologique ont été faites.
On pourrait retenir que pour renforcer les capacités du numérique il nous faut des compétences, de l’infrastructure et des moyens financiers. La détermination est présente plus que jamais. Je suis très confiant en ce qui concerne nos compétences et infrastructures, et nous avons encore de la marge pour nous améliorer au niveau du capital.
La Commission européenne a proposé de réguler l’intelligence artificielle en Europe. En quoi une telle initiative va-t-elle encourager le développement et le déploiement de l’IA en Europe ?
Si on parle d’intelligence artificielle, les gens pensent souvent à des films de science-fiction avec des robots androïdes et cela provoque un sentiment d’insécurité. Aussi, si nous craignons le potentiel de cette technologie, c’est parce que le champ d’application est tellement vaste et que le cadre n’est pas encore défini. Donc je suis pour une régulation de l’intelligence artificielle afin d’améliorer la confiance des gens mais aussi des acteurs du marché.
Beaucoup plus encore que la régulation, il faut communiquer et informer sur les opportunités de l’intelligence artificielle par exemple dans le domaine de la médecine. Je suis convaincu qu’explorer des données à l’aide d’intelligence artificielle, peut révolutionner la médecine, comme dans le dépistage et le traitement de différents types de cancer et ça ce n’est pas de la science-fiction. Citons l’exemple de l’Institut Curie, pionnier dans ce domaine qui peut avoir recours à une banque de données alimentée depuis 2000. Ce trésor de big data est utilisé à l’aide d’intelligence artificielle pour mieux connaître les différents types de cancers et pour construire des algorithmes permettant des prédictions sur la vulnérabilité des patients. Le potentiel est donc énorme et il ne faut pas oublier que l’IA est utilisée déjà aujourd’hui à grande échelle dans différents domaines de notre vie quotidienne, comme les transferts ou les achats en ligne.
Mais de nouveau, il est important de rester vigilants en termes de souveraineté technologique.
La Commission européenne a annoncé l’investissement de la somme colossale d’un milliard d’euros par an dans le développement de l’intelligence artificielle, mais en même temps la Chine prévoit un budget de 150 milliards de dollars jusqu’à 2030 rien que pour leur propre stratégie IA. Évidemment, il faut comparer ce qui est comparable et le budget n’est qu’un élément parmi d’autres pour mesurer la détermination, mais je pense qu’il est primordial de définir quelles devraient être les priorités pour les prochaines années sur le plan des investissements publics et privés.
Le Luxembourg s’est doté d’un superordinateur appelé MeluXina, hébergé au sein du centre de données de LuxConnect à Bissen. Comment les entreprises peuvent-elles accéder à cette importante puissance de calcul et à quel prix ?
Oui, MeluXina est un des superordinateurs les plus puissants d’Europe et nous sommes très fiers de ce projet. Il est important que le Luxembourg se positionne et continue à investir dans les infrastructures telles que la connectivité, les Data Centres ou dans une technologie comme celle de supercalculateurs qui sont une aide précieuse dans le traitement des big data.
Le HPC luxembourgeois est opéré par LuxProvide, filiale à 100% de LuxConnect. La société est en plein développement et compte aujourd’hui une vingtaine d’employés qui viennent de partout dans le monde. Il s’agit d’une équipe pionnière qui est très attachée à ce projet et donc particulièrement motivée, engagée et au service des clients actuels et futurs. Il ne faut pas oublier que la machine a été installée en pleine crise Covid et que les équipes de LuxProvide et de LuxConnect se sont énormément engagées afin de pouvoir respecter le délai de lancement de la machine. MeluXina est aujourd’hui un élément-clé dans le renforcement de la compétitivité du Grand-Duché.
L’idée est effectivement de donner accès aux acteurs provenant du domaine de la recherche mais aussi du secteur privé. Pouvoir avoir recours aux ressources d’un supercalculateur est souvent un avantage concurrentiel pour les entreprises, car cela permet d’économiser du temps, donc de l’argent.
Pour beaucoup de PME, le calcul intensif est synonyme de logiciels trop complexes et de superordinateurs hors de prix. Quelles seront les mesures à mettre en place pour accompagner les PME dans leur premier accès au calcul haute performance ?
Le Luxembourg s’est doté de MeluXina comme infrastructure critique. Cette ressource est partagée entre les différents utilisateurs si bien que ses frais de fonctionnement n’ont pas à être assumés par un seul utilisateur. LuxProvide, l’entreprise en charge d’opérer MeluXina, met aussi à disposition des experts en calcul haute performance, en analyse de données et en intelligence artificielle afin de simplifier et démocratiser l’accès au calcul intensif pour les PME.
Il existe de nombreuses aides au niveau des financements, comme au travers du FNR pour les projets de recherche en collaboration avec l’Université de Luxembourg, le L.I.S.T. ou d’autres organismes éligibles ; les aides à la RDI pour les projets industriels. Au niveau européen, le nouveau e-DIH, l’european digital innovation hub, propose également des options intéressantes de financement pour les PME. Les projets innovants éligibles à ce type d’aides peuvent inclure à la fois l’accès à MeluXina et à de l’expertise associée.
Le gouvernement vient de présenter la « Stratégie nationale pour les réseaux de communications électroniques à ultra-haut débit 2021-2025 » pour combler la facture numérique restante. Un des objectifs est notamment de développer le Luxembourg comme plateforme de premier choix pour les services ICT d’aujourd’hui et du futur. Comment percevez-vous l’ambition du gouvernement pour répondre aux besoins croissants en termes de connectivité et renforcer la compétitivité du pays dans ce domaine ?
Cette ambition et cette volonté de « booster » est exactement ce dont nous avons besoin à la sortie de la crise sanitaire. Le Luxembourg est déjà aujourd’hui parmi les meilleurs élèves en termes de connectivité et d’accès à l’Internet ultra-haut débit, mais il reste de la marge.
Primo, le fameux « last mile », c’est- à-dire les régions où la vitesse ultra-haut débit est bien déployée sur les grands axes, mais n’arrive pas encore dans toutes les résidences, entreprises et ménages privés ou plus précisément chez l’utilisateur final. Secondo, « le déploiement vertical » ; à l’intérieur des bâtiments – souvent des résidences – du premier au dernier étage. La stratégie du gouvernement vise à améliorer cette situation et à éliminer ces zones grises. LuxConnect en tant qu’acteur neutre et non-discriminatoire est certainement un des outils pour aider à faire aboutir cette stratégie, mais nous ne sommes pas seuls. Un nouveau GIE vient d’être créé entre l’Etat et LU-CIX, une plateforme regroupant une large panoplie d’acteurs du marché. Ce nouveau GIE nommé « My Connectivity » a pour objet de coordonner la mise à niveau des infrastructures de communications électroniques fixes et mobiles de façon non sélective et non discriminatoire. Il s’agit d’un véritable effort commun de tous les opérateurs pour rassembler l’expertise, les ressources et la connaissance du marché afin de pouvoir agir dans l’intérêt du pays, des entreprises et des citoyens.
Je suis très confiant que les premiers résultats seront visibles dès l’année prochaine avec les premiers projets en cours de réalisation.