La « maison du dialogue social permanent » fête cette année son 55ième anniversaire, pourriez-vous nous expliquer le rôle du CES et décrire son fonctionnement ?

Le CES est une institution créée et institutionnalisée en 1966 en vertu de la loi du 21 mars 1966 portant institution d’un conseil économique et social, telle que modifiée par la loi du 15 décembre 1986, la loi du 15 juin 2004 et la loi du 10 mars 2014.

Le CES est de composition tripartite, regroupant 18 représentants du patronat, 18 représentants du salariat et 3 représentants de l’État. Les 39 membres effectifs du CES, et autant de membres suppléants, sont nommés pour une durée de 4 ans. Il est chapeauté par le Bureau, composé du Président, de deux Vice-présidents et du Secrétaire général.

Il s’agit d’un organe consultatif du Gouvernement, qui étudie, soit à la demande du Gouvernement, soit de sa propre initiative, les problèmes socio-économiques et financiers intéressant plusieurs secteurs économiques ou l’ensemble de l’économie nationale. Il élabore et publie des avis sur les sujets étudiés, en y émettant des recommandations servant de guide et d’orientation.

Les sujets abordés par le CES s’inscrivent en général dans le moyen et le long terme, et beaucoup moins dans l’actualité quotidienne. Le CES ne s’exprime pas non plus par rapport à des projets ou propositions de loi, dont les avis requis relèvent plutôt de la compétence des chambres professionnelles. Le CES constitue le pôle calme du dialogue social au niveau national, où un certain recul permet d’aborder les sujets traités à tête reposée.

Le CES accompagne sur le plan national le dialogue social européen structuré. À ce titre, des entrevues entre le Gouvernement et les partenaires sociaux ont lieu dans le cadre de la procédure du Semestre européen. En 2020 et en 2021, les contributions communes des partenaires sociaux à ces réunions ont fait l’objet des avis annuels du CES.
Un exemple-type concret des travaux du CES est la nouvelle convention en matière de télétravail, élaborée au sein du CES, approuvée telle qu’elle par le Gouvernement et signée par les partenaires sociaux dans les locaux du CES. Bien entendu, tous les thèmes traités ne débouchent pas forcément sur des résultats aussi tangibles, avec des solutions aussi concrètes à des questions aussi précises. En général, l’étendue des sujets est relativement vaste, ce qui présuppose de disposer de davantage de temps pour se pencher dessus.

On a l’impression que le CES soit devenu plus consensuel et productif ces dernières années, quelles seraient vos explications pour ceci ? Quelles seraient vos intentions afin de pouvoir déployer ce climat de travail ?

Le CES analyse des faits relatifs à un sujet donné dans sa globalité, élabore ses propres réflexions et formule des recommandations au Gouvernement. En termes de résultats, l’objectif primaire est que les partenaires sociaux y trouvent des consensus. Les avis et recommandations du CES ne sont pas contraignants, dans le sens où le Gouvernement prend ses décisions en la matière en toute indépendance.

En temps de crise, comme celle que nous connaissons à présent, les partenaires sociaux ont une cause commune. Cette situation les unit davantage et, partant, il est plus aisé de trouver des consensus dans le dialogue social.

En outre, des sujets traités récemment par le CES, comme celui du télétravail ou encore celui de la déconnexion, ont été analysés et travaillés par des membres du CES eux-mêmes directement et continuellement confrontés à ces phénomènes. Ils se rendent bien compte de leur omniprésence, de leur nature incontournable et de la nécessité d’y trouver des solutions pragmatiques et opérationnelles, et donc de commun accord.

S’y ajoute que le CES aborde en général des thématiques qui ne font pas directement l’objet de l’actualité quotidienne, de sorte qu’il sait y prendre une certaine distance et le recul nécessaire pour les analyser à tête reposée, bien réfléchie et avec toute la profondeur requise. Cette faculté de se prendre suffisamment de temps débouche en général sur de meilleurs et plus larges compromis que si le CES travaillait dans l’effervescence des sujets d’actualité politique.

Pour les sujets soumis à l’analyse du CES en vertu d’une saisine gouvernementale, davantage imbibés d’actualité, ils sont traités dans un environnement sain, avec un objectif clair et une certaine attente d’un consensus dans un délai donné. Pour ce qui concerne les autres sujets, le CES a parfois tendance à se prendre en quelque sorte plus de libertés et d’élargir son analyse à son gré, ce qui peut parfois déboucher sur l’approfondissement de certaines positions.

Concernant les avis annuels et les résultats récurrents du CES des dernières années, le CES s’est dès le départ mis d’accord sur le résultat à atteindre, ce qui a sans doute renforcé la volonté de la recherche du consensus.

Le CES travaille d’une manière orienté projet, avec des étapes clé et des délais fixés à l’avance, ce qui se traduit par un certain encadrement des discussions et ce qui renforce quelque part l’idée de proposer des solutions pragmatiques et portées par la majorité.

Après l’adoption du CES de l’avis sur un droit à la déconnexion du salarié en date du 30 avril 2021, est-ce que le programme du CES pour les deux années à venir prévoit encore d’autres avis à adopter en matière de droit du travail ?

Pour les sujets à venir, le CES continuera à publier ses avis annuels et ses avis récurrents. Il accompagnera par ses travaux la relance économique, dans le cadre du Semestre européen : quant aux sujets phare, comme, par exemple, le développement durable, la digitalisation ou encore le projet européen, il y a un objectif commun de formuler des recommandations de commun accord.

Dans la lignée des récents avis du CES portant sur le droit du travail tels que celui sur la déconnexion, le télétravail ou encore le travail transfrontalier, d’autres avis dans ce domaine suivront à l’avenir. Le projet européen fera sans doute l’objet d’un avis à l’avenir qui traitera, en partie, du droit du travail.

Pour ce qui concerne l’avis sur le télétravail, il s’agissait d’une saisine du moins indirecte, et dans ce sens, le CES est, en matière de droit du travail, comme dans toute autre matière, prêt à réagir et bien positionné pour y émettre des avis. Le CES, la maison du dialogue entre partenaires sociaux et avec le Gouvernement, continuera donc à travailler dans ce sens.

Actuellement, le CES travaille sur un avis portant sur le développement de la Grande Région, et le volet du marché de travail y sera de nouveau abordé.

Est-ce que d’après vous, le CES serait capable d’aborder des sujets en relation avec les générations futures ? Si oui, quelles seraient les conditions requises ?

De par le passé, le CES a déjà élaboré des avis portant sur des sujets concernant plus ou moins directement les générations futures. Il n’y a pas de doute que les conditions requises pour ce faire sont donc déjà réunies et remplies. À ce titre, l’avis du CES sur les mutations technologiques, de novembre 2018, constitue un exemple-type de travail du CES au regard de problématiques intéressant les générations futures. Le système de sécurité sociale, le développement durable ou encore la digitalisation constituent autant de thèmes, en lien direct avec la relance économique lors de la sortie de crise, qui furent par ailleurs esquissées par le Premier ministre dans les réunions récentes avec le CES. Il est ainsi indéniable que l’avis de ce dernier dans ces matières sera indispensable, indépendamment du fait que le CES se saisisse soi-même ou qu’il en soit saisi par le Gouvernement.

Une des missions du CES est de conseiller le Gouvernement en matière de politique supranationale dans les domaines économiques. Quels sont les récents conseils du CES en matière économique, surtout dans le contexte de la crise liée au COVID-19 ?

Dans le contexte de l’actuelle crise liée au COVID-19, les partenaires sociaux nationalement représentatifs ont, dans le cadre du CES, élaboré une position commune par rapport au Plan pour la Reprise et le Résilience (PRR).

Les partenaires sociaux soulignent l’importance du dialogue social en la matière, dont leur consultation par le Gouvernement dans le cadre de l’élaboration et de l’implémentation du PRR, notamment à des fins d’appropriation nationale des mesures mises en place pur une transition écologique et numérique vers un modèle économique durable et inclusif.

Globalement, ils mettent en garde contre une renonciation trop précoce à des instruments de soutien, tels que par exemple la clause dérogatoire générale, et ils recommandent d’instaurer de nouvelles règles budgétaires qui tiennent compte des réalités économiques et sociales qui prévaudront lorsque prendra fin la pandémie. Ils jugent en outre nécessaire de ne pas comptabiliser, au niveau européen, les emprunts destinés au financement des investissements dans le calcul du déficit budgétaire des États membres.

Par rapport aux 6 domaines d’action définis à l’article 3 du règlement européen sur la Facilité pour la Reprise et la Résilience, les partenaires sociaux recommandent pour le

  • Domaine d’action « Transition verte », de stimuler les investissements en matière de transition verte et dans le domaine de l’énergie, et de mettre en place une fiscalité écologique équitable et le principe du « pollueur-payeur ».
  • Domaine « Transformation numérique », d’offrir les formations nécessaires dans le cadre du déploiement de nouvelles technologies émergentes comme l’intelligence artificielle, d’investir dans la recherche, le développement et l’innovation (RDI), dans l’e-administration et les infrastructures de communication. Il y aussi lieu d’augmenter la résilience et de mettre le focus sur la cybersécurité.
  • Domaine « Croissance et emplois intelligents, durables et inclusifs » d’inscrire le droit à la déconnexion du salarié expressément au Code du travail, de pleinement impliquer les partenaires sociaux dans les décisions prises dans le cadre de la table ronde sur la santé (« Gesondheetsdësch »), d’augmenter les ressources financières de la médecine du travail, de promouvoir le développement d’emplois durables et inclusifs, de clarifier juridiquement le statut des travailleurs indépendants et de planifier d’une manière intelligente la séniorité en matière de l’emploi en ayant un recours plus large à des instruments permettant de combiner une tâche partielle avec une retraite partielle.
  • Domaine « Cohésion sociale et territoriale » de préserver une cohésion sociale à tous égards, de mener une politique du logement coordonnée, de réformer l’impôt foncier (IFON), et d’assurer une coopération accrue au niveau de la Grande Région par la réalisation de projets transfrontaliers avec l’objectif d’un co-développement.
  • Domaine « Santé et résilience » de mettre en place un système de santé efficace et équitable, de revoir le plan hospitalier et de contrer la pénurie de personnel résident.
  • Domaine « Politiques en faveur des enfants et des jeunes, y compris l’éducation et les compétences et en vue d’une formation professionnelle de qualité » de, par exemple, créer une stratégie nationale pour préparer et accompagner l’École vers la transition digitale et verte, de donner un nouvel essor à la formation professionnelle pour en faire une voie d’excellence, de garantir un meilleur accès à la formation continue, d’adapter la procédure de validation des acquis de l’expérience (VAE) ou encore de favoriser l’orientation tout au long de la vie.

Le CES estime que pour conserver son modèle socio-économique, le Luxembourg doit maintenir son économie compétitive et attractive. La crise actuelle du COVID-19 a mis en exergue les conséquences sociales, notamment en termes de chômage (partiel suite à l’intervention massive de l’État) et de pouvoir d’achat suite à l’absence de croissance économique, tout comme les conséquences néfastes en termes de dépendance aux chaînes d’approvisionnement internationales.

Sur cette toile de fond, il est nécessaire d’agir sur la productivité, en aboutissant à des avancées technologiques et d’organisation amenant des gains de productivité, idéalement sans être consommatrices en ressources primaires supplémentaires, aux fins de générer le progrès et la cohésion sociale, de soutenir le modèle social et de lutter contre l’exclusion et la pauvreté. Un accent particulier est à mettre sur la conservation de la résilience du secteur financier tout comme sur la création d’emplois de qualité et à haute valeur ajoutée. Les partenaires sociaux ont commenté ces questions dans le détail dans des avis du CES relatifs à la productivité et au bien-être.

Dans ce sens, le Plan pour la Reprise et la Résilience doit constituer un élément favorisant le maintien du modèle économique et social du Luxembourg. Une économie performante et un État social fort vont de pair.

Les innovations de technologies de l’information accélèrent la transformation numérique à une vitesse incroyable. Quelles sont les recommandations du CES au Gouvernement pour réussir les défis de la digitalisation ?

La fracture sociale et l’exclusion digitale sont des soucis qui ont toujours accompagné les réflexions du CES en matière d’innovation et de digitalisation.
Une recommandation du CES en la matière est de garantir une formation numérique et une reconversion partout où elle est requise.

Dans son avis « Le modèle économique, social et sociétal luxembourgeois dans les mutations technologiques » de 2018, sur la base d’une saisine gouvernementale de 2016, le CES a formulé un certain nombre de recommandations.

Dans le processus de la digitalisation de l’économie en général, et du secteur financier en particulier, l’existence d’infrastructures en matière de technologies de l’information performantes constitue un atout indéniable : il y a lieu de veiller à assurer des investissements en continu pour se maintenir à un haut niveau de performance.

Des formations appropriées et continuelles sont incontournables. Il est par ailleurs primordial de s’assurer une disponibilité suffisante de main-d’œuvre hautement qualifiée pour occuper ces postes.

Ainsi, selon le CES, le Luxembourg doit accompagner de manière active les évolutions technologiques et le progrès technique, sous réserve de la garantie des droits à la vie privée.

Aussi le CES estime qu’il est indispensable de donner les moyens nécessaires aux usagers d’Internet afin de savoir utiliser à bon escient les services en ligne, tout en développant leurs compétences numériques.

Comme la digitalisation sera à l’origine de nouveaux professions et métiers, que nous ne connaissons pas encore aujourd’hui, il est primordial que l’enseignement mise avant tout sur le développement des compétences dites « transversales », afin de pouvoir garantir un avenir professionnel aux étudiants. À côté de ces « soft skills », les sciences et les langues garderont bien sûr leur place et importance en termes d’enseignement, mais peut-être d’une manière moins poussée. La participation à des formations en continu, le « life long learning », devient de plus en plus importante pour garder une place dans le monde du travail de l’avenir.

Dans son avis sur le télétravail de 2020, le CES a mis en exergue que la réalité courante a largement dépassé le cadre conventionnel et que les défis de la digitalisation rendent une modernisation du cadre législatif et conventionnel d’autant plus nécessaire.

La pandémie du COVID-19 a mis en évidence l’importance du développement des infrastructures de communication électronique. Vu que la promotion du télétravail fera sans doute partie de la transition vers une économie moins émettrice en CO2, il sera important de mobiliser les investissements publics nécessaires afin d’assurer à chaque citoyen l’accès à des infrastructures de communication de pointe. Pour s’adapter aux nouvelles technologies évolutives et aux dangers potentiels liés, il convient d’augmenter la résilience et de mettre le focus sur la cybersécurité. Ceci est très important pour l’économie luxembourgeoise vu le poids important du secteur financier et les potentiels effets dévastateurs d’une éventuelle cyberattaque. Dans ce sens, des investissements dans la formation d’experts de la cybersécurité et dans des campagnes de sensibilisation sont requis. Il convient également de prévoir des formations et services publics offerts aux citoyens pour se protéger dans ce contexte. L’État devrait soutenir matériellement et financièrement les efforts de formation en la matière et ce tant au niveau individuel que collectif.

La crise sanitaire impacte considérablement les finances publiques, et la dette publique risque de dépasser la barre des 30 % du PIB. Quelles pourraient être, selon le CES, les options envisageables sur le plan fiscal ?

Le CES analyse et se concerte, généralement tous les trois ans, sur les données existantes en matière de fiscalité directe et indirecte, aussi bien au regard des personnes physiques que des entreprises, ainsi que sur leur impact budgétaire. Il publie son analyse sous forme d’avis, intitulé
« Analyse des données fiscales au Luxembourg ». Comme en 2015 et 2018, le CES vient de nouveau d’être saisi par le Gouvernement en la matière, et il vient, dans la foulée, de démarrer son avis portant sur la fiscalité pour l’année 2021. Il n’en reste pas moins qu’à l’état actuel le CES ne s’exprime pas encore sur l’impact de la crise du COVID-19 sur les finances publiques, étant donné qu’il est encore bien trop tôt pour savoir de quoi auront l’air les finances publiques à l’issue de ladite crise.