Le 1er octobre dernier, la gouvernance de la SNCI s’est renouvelée avec la nomination de Vincent Thurmes comme président et Marc Niederkorn en tant que directeur de l’établissement bancaire de droit public spécialisé dans le financement à moyen et à long terme des entreprises luxembourgeoises. L’occasion, pour la FEDIL, de s’entretenir avec les nouveaux responsables sur les activités de la SNCI et ses mesures de soutien à l’industrie et aux entreprises.

Pouvez-vous nous rafraîchir la mémoire sur la mission et les différents instruments de la SNCI ?

Vincent Thurmes : La mission de la SNCI est d’aider les entreprises luxembourgeoises dans leurs projets de développement, d’où notre slogan « Nous finançons votre avenir ». Il s’agit de promouvoir la création, l’extension, la conversion et la réorientation d’entreprises industrielles et de prestation de services ; une mission qui garde toute sa pertinence aujourd’hui, où l’on parle de polycrise et où la double transition verte et numérique est un défi d’envergure pour les entreprises. Nous sommes en mesure d’intervenir à travers des crédits (le plus souvent en partenariat avec les banques de la place) ou des prises de participations (cas plus particuliers), tant pour l’entrepreneur qui se lance, que pour l’entreprise qui veut se développer localement ou à l’international. On est partenaire aussi des grands groupes pour autant qu’ils aient une présence substantielle au Luxembourg. Ce qui rend la tâche particulièrement intéressante, c’est la diversité des projets auxquels nous sommes confrontés : développement de produits industriels nouveaux, concepts de services innovants, passage à la « vitesse supérieure » pour des entreprises familiales, etc.

Marc Niederkorn : Pour donner un exemple concret : Notre produit phare, le crédit d’équipement, en place pratiquement depuis notre création, est totalement d’actualité. Si le concept de base reste le même (un « cocktail » qui permet de démultiplier les moyens propres de l’entreprise par un facteur 5 à 10 en les combinant avec les subsides octroyés par le ministère de l’Économie et des fonds mis à disposition par la SNCI, en coopération avec une des banques de la place. Les avantages sont clairs pour toutes les parties : pour la banque, car nous partageons le risque. Pour l’entrepreneur, car notre crédit d’équipement est accordé à long terme, pour une durée de 10 à 15 ans, se fait à taux fixe qui est actuellement de 2%, et prévoit des modalités de remboursement relativement flexibles, dont notamment un remboursement anticipé sans pénalités. Pour le gouvernement, car il s’agit d’un vrai « public private partnership » où l’impact d’incitation des deniers publics est démultiplié par le concours de banques commerciales. Et ceci en toute simplicité :
une fois la demande complétée, nous sommes en mesure de prendre nos décisions rapidement endéans une semaine pour la plupart des dossiers.

Pour les projets pour lesquels une aide publique n’est pas envisagée, nous pouvons également soutenir le dossier à travers notre « prêt indirect développement », qui est d’autant plus flexible qu’il n’est pas soumis à la réglementation des aides publiques.

Comme M. Thurmes l’a déjà mentionné, nous accompagnons des entreprises de toutes tailles. Ce qui rend la tâche intéressante (et ce qui me rend confiant quant à l’avenir industriel du Luxembourg), c’est la capacité d’imagination et la créativité que nous rencontrons de la part des entrepreneurs avec lesquels nous sommes en contact. Même si notre « home base » luxembourgeoise est géographiquement limitée, les « visions » sont souvent européennes ou même mondiales, tant sur des produits de la vie quotidienne (pour lesquels on ne soupçonne souvent pas qu’il s’agit du « made in Luxembourg »), que sur des produits de très haute technologie dans des niches mondiales. Les derniers cinq mois ont été un apprentissage incroyable pour Vincent et moi à cet égard.

Nous constatons que beaucoup d’entreprises continuent à investir pour pouvoir répondre aux défis de la transformation numérique et de la transition énergétique. Est-ce que vous partagez ce constat ? et quels sont les instruments de la SNCI qui répondent le mieux à ces besoins de financement ?

M.N. : Vous avez raison de mettre en avant ces tendances, qui non seulement vont être des thématiques dominantes pour les prochaines décennies mais qui dès à présent créent des besoins de financement particuliers (et demandent parfois un appétit de risque plus élevé). En pratique, rares sont les dossiers qui n’ont pas une composante ayant trait à des efforts de digitalisation ainsi que de transition énergétique et de décarbonation des entreprises. Par contre, parfois l’histoire nous fait des « clins d’œil » intéressants : lorsque la SNCI a vu le jour en 1977, la loi portant création de l’établissement public stipulait que « la Société Nationale peut acquérir (…) des participations dans des entreprises étrangères en vue de faciliter l’approvisionnement de l’économie luxembourgeoise en matières premières et en énergie (…). « Mutatis mutandis », nos illustres prédécesseurs semblent nous guider dans nos ambitions…

Dans ce contexte, la SNCI participe aujourd’hui de façon proactive à différentes initiatives lancées par le gouvernement, comme la stratégie hydrogène du Luxembourg et encore la définition d’une feuille de route pour l’industrie manufacturière luxembourgeoise à l’horizon 2040. En faisant valoir notre expertise, nous prenons activement part aux discussions pour définir l’ordre de grandeur des moyens nécessaires à la réalisation des objectifs fixés ainsi que pour établir la répartition de l’apport en capital … les investissements sont-ils portés par le budget de l’État, des aides, des outils de la SNCI, des capitaux privés ? Le cas échéant, des outils spécifiques devront être développés.

Suite à l’évolution des taux d’intérêts directeurs de la BCE, la SNCI a procédé à une révision des taux d’intérêt de ses principaux instruments en janvier 2023. D’autres mesures sont-elles à prévoir?

V. T. : En effet, au 1er janvier 2023, suite à l’évolution des taux sur les marchés des capitaux, la SNCI a révisé les taux d’intérêt de ses principaux instruments que sont le crédit d’équipement, le prêt à moyen et à long terme ainsi que le prêt indirect développement. Aujourd’hui, nous notons une grande volatilité et insécurité dans le marché et nous suivons cette évolution ainsi que les décisions de la Banque centrale européenne de très près. Pour notre établissement bancaire, décider de l’adaptation des taux doit se faire dans la sérénité, car nous devons répondre à une équation complexe : proposer des taux d’intérêt attractifs sans pour autant tomber dans une situation d’aide d’État ; porter la responsabilité pour un bilan solide de notre établissement; et générer des profits qui vont de pair avec la croissance économique et renforcent nos moyens propres et donc notre capacité d’agir.

La conclusion de contrats d’achat d’électricité à long terme visant à réduire l’exposition des consommateurs industriels à la volatilité des prix de marchés énergétiques à court terme ou le financement de projets d’investissement par des tiers (projets dans l’efficacité énergétique ou dans la production d’énergie renouvelable, comme la photovoltaïque) pourraient être facilités par la mise en place d’instruments de derisking adaptés à ces besoins spécifiques. Votre institution est souvent citée lorsqu’il s’agit de compléter l’encadrement des entreprises dans ce sens. Pourriez-vous nous expliquer les possibilités d’intervention qui existent déjà ou celles que vous envisagez pour créer un levier favorable à la transition énergétique, et notamment les possibilités de derisking ?

M.N. : En coopération avec les différents ministères concernés, nous avons réalisé une analyse approfondie de la question, notamment concernant les risques bancaires que peut couvrir la SNCI. Au moment de cet entretien, je peux dire que la SNCI est prête à soutenir les entreprises pour ce qui est de ce type de contrats. Ensemble avec les autres acteurs, nous allons communiquer sous peu sur nos possibilités d’intervention.

La SNCI peut prendre des participations dans des sociétés dont le principal établissement est situé au Luxembourg. Dans quelle situation ou à quelle occasion feriez-vous usage de cette possibilité ?

V. T. : Dès sa constitution, la SNCI pouvait prendre des participations directes dans des sociétés de droit luxembourgeois avec, là aussi, l’objectif de diversifier et de renforcer l’économie du pays. Historiquement et aujourd’hui encore, il s’agit d’acteurs stratégiques au Luxembourg, comme, entre autres, Cargolux, Encevo, Luxcontrol, Luxtrust, SES ou Sisto Armaturen.

Ces dernières années, nous avons par ailleurs pu soutenir plus de 80 « jeunes pousses » dans les clusters prioritaires identifiés par le gouvernement (création d’emplois au Luxembourg à la clé), correspondant à une mise de plus de 150 millions. Comme notre équipe est de taille modeste, nous avons réalisé ces investissements ensemble avec des professionnels du capital risque, en particulier le Fonds européen d’investissement (FEI), ce qui a permis de considérablement renforcer cet écosystème au Luxembourg.

Pour continuer à détecter de nouvelles pépites et à investir, nous venons d’annoncer notre engagement à hauteur de 160 millions d’euros dans le Luxembourg Future Fund 2 (LFF2) aux côtés du FEI. Nous considérons que le LFF2 est un outil efficace pour stimuler la diversification et le développement durable de l’économie luxembourgeoise par le biais d’activités de financement. Par rapport au LFF1, le périmètre d’investissement a été élargi, couvrant désormais des fonds d’investissement et des entreprises déjà établies au Luxembourg et souhaitant étendre leurs activités. Le LFF2 cible aussi des entreprises innovantes plus matures par des investissements hybrides dette-fonds propres et permet d’envisager des investissements dans des entreprises existantes, confrontées à un environnement de marché complexe et incertain. Pour l’évaluation des projets souvent très pointus susceptibles de faire l’objet d’un tel co-investissement, l’appui sur le savoir-faire unique en Europe des experts du FEI dans les différents secteurs clés est indispensable.

Quelle est votre vision pour la SNCI pour les années à venir ? Y a-t-il de nouveaux projets ?

V. T. : En tant que nouvelle équipe dirigeante de la SNCI, nous avons la chance de pouvoir construire sur un socle, un bilan très solide et sur un modèle de coopération éprouvé. Nous venons de boucler une année exceptionnelle, avec des décisions d’engagement tous instruments confondus dépassant les 400 millions pour 2022. Le niveau des taux d’intérêt a bien sûr un impact sur l’activité de la SNCI. Si les taux d’intérêt à zéro que nous avons connu ces dernières années a impacté notre niveau d’activité, le contexte financier a radicalement changé. C’est pourquoi nous souhaitons accroître davantage notre visibilité auprès des entreprises, en les rendant attentives à nos instruments de financement et au fait que la SNCI est un partenaire stable et fiable. Sur les prochains mois, nous allons adapter notre communication en conséquence.