Madame Backes, les différents ressorts dont vous avez la charge touchent de très près des sujets qui sont actuellement tout à fait pertinents pour la FEDIL et ses membres. Permettez-nous de commencer par le domaine de la défense.
La volonté d’associer l’industrie et la recherche au développement de capacités européennes de sécurité et de défense est exprimée aussi bien dans l’accord de coalition du gouvernement national que dans le programme politique de la nouvelle Commission européenne. Comment envisagez-vous de renforcer la synergie entre les acteurs de la défense et l’industrie civile autour des technologies à double usage (‘dual use’), notamment dans les domaines des réseaux de communication sécurisés, du cloud souverain et du calcul haute performance (HPC) ?
L’industrie et les centres de recherche sont les moteurs de l’innovation, tant au niveau européen qu’au niveau national. L’objectif principal de nos investissements est de renforcer nos capacités de défense et de dissuasion collectives. C’est pourquoi il est essentiel que nous gardions l’ascendant technologique. Ainsi, l’industrie et les centres de recherche sont des acteurs, des partenaires et des facilitateurs incontournables.
Le Luxembourg dispose d’un écosystème d’innovation dynamique. Nous devons exploiter le savoir-faire de nos acteurs nationaux et favoriser le développement de nouvelles technologies de défense qui répondent aux besoins croissants de la sécurité et de la défense euro-atlantiques. Les synergies entre les acteurs de la défense et l’industrie nationale civile ne devraient cependant pas se limiter qu’aux technologies à double usage. Nous encourageons également la création de synergies autour du développement de capacités et de technologies ayant des fins purement militaires.
La Défense luxembourgeoise prévoit de s’impliquer davantage dans le développement de certaines capacités de défense, notamment dans le cadre du cycle de planification de l’OTAN, et d’y intégrer nos acteurs nationaux. Nous avons l’intention de négocier des partenariats ou accords de coopération avec les grands acteurs de la défense, en particulier avec les acteurs où la Défense luxembourgeoise acquiert ou prévoit d’acquérir des capacités de défense.
Il faut néanmoins tenir compte du fait que la plus grande majorité des technologies de l’industrie civile nationale n’a pas encore été testée et validée pour une utilisation dans le domaine de la défense. Ceci est la raison pour laquelle la Défense continue de soutenir des projets de recherche et de développement entre des acteurs nationaux et des acteurs de la défense, afin de faire valider des technologies le plus rapidement possible. Ainsi, en mars 2024, j’ai lancé un deuxième appel à projets interministériel dans le domaine de la défense, plus particulièrement pour des capacités à double usage.
D’autres initiatives telles que l’organisation de groupes de travail nationaux regroupant de nombreux acteurs de la défense, gouvernementaux et privés, des événements comme le récent Luxembourg Defence Technology and Innovation Day organisé par Luxinnovation avec l’appui de la Direction de la défense, ou encore les pavillons nationaux sur les grands salons de la défense ont déjà fait leur preuve en matière de rapprochement des acteurs des deux domaines.
Au niveau des réseaux de communication sécurisés, du cloud souverain et du calcul haute performance, la Défense analyse actuellement comment les différentes capacités existantes au Luxembourg pourront aussi être utilisées par la Défense. Par exemple, pour l’utilisation du HPC, une étude, financée par la Direction de la défense, est actuellement menée au niveau national et international afin de déterminer comment les acteurs de la défense pourront bénéficier du HPC luxembourgeois. De plus, les acteurs luxembourgeois sont invités à participer aux différents marchés publics, dont notamment celui pour la mise en place de la future Luxembourg Cyber Defence Cloud.
Dans le cadre de l’augmentation prévue des contributions du Luxembourg à la défense, notamment pour se rapprocher de l’objectif de 2% du RNB fixé par l’OTAN, comment envisagez-vous de tirer avantage d’opportunités de retour économique et/ou de bâtir de nouvelles compétences dans des secteurs clés de l’économie luxembourgeoise, comme l’espace et les TIC ?
L’année prochaine, le Luxembourg va investir près de 800 millions d’euros dans sa défense. En 2030, l’année où nous atteindrons l’objectif de 2% de l’OTAN, les dépenses seront estimées à 1,5 milliard d’euros. Il est évident pour moi que ces investissements génèrent également des retours positifs pour le Luxembourg et que les entreprises luxembourgeoises contribuent également à la chaîne de valeur européenne et transatlantique.
Cette ambition du retour économique et sociétal de nos investissements dans la défense a été fixée au niveau de l’accord de coalition. Il s’agit d’une priorité politique du gouvernement qui me tient particulièrement au cœur. C’est pourquoi nous avons mis en place un groupe de travail interministériel – sous le lead de la Direction de la défense et qui réunit en outre l’Armée, le ministère de l’Économie, Luxinnovation et la Direction de la promotion du commerce extérieur et des investissements – qui s’occupe spécifiquement de ces questions.
Mi-novembre, cela faisait un an que le nouveau gouvernement a entamé son mandat. Depuis lors, la Défense a entamé de nombreuses initiatives afin d’essayer d’y parvenir.
La Défense envisage également de coopérer avec certains alliés dans le développement de capacités de défense et d’y intégrer des acteurs nationaux. Cependant, dans le domaine de la défense, nous planifions sur des années, voire des décennies. Nous ne pouvons donc pas nous attendre à des changements substantiels du jour au lendemain.
L’espace est un des axes prioritaires de développement capacitaire de la Défense luxembourgeoise. Dans ce domaine, nous travaillons déjà de façon étroite avec des acteurs clés du secteur privé, qu’il s’agisse de communication par satellite ou pour notre futur système d’observation de la Terre LUXEOSys.
Dans le domaine de la recherche et du développement, de nombreux cadres de financement, tels que le European Defence Fund, des groupes de travail à l’Agence européenne de défense ou encore des initiatives nationales, sont proposés aux acteurs nationaux dans le but de développer des nouvelles compétences et d’acquérir de l’expérience dans ce nouveau domaine.
La FEDIL a pu avoir de premières collaborations fructueuses avec vous et avec vos services pour trouver des arrangements locaux permettant d’améliorer la connexion de grandes zones d’activité au réseau des transports publics aux heures qui correspondent à l’organisation des entreprises en question. Quels sont vos projets pour étendre une telle offre sur un plus grand nombre de zones d’activité d’une certaine envergure et, de façon plus générale, comment votre ministère peut-il assister les entreprises dans le développement de concepts de mobilité pour leurs collaborateurs ?
Nous avons effectivement eu une collaboration fructueuse au sujet d’un certain nombre de lignes de bus dites « usines » desservant Colmar-Berg. Ces lignes avaient été mises en place spécifiquement pour le travail posté de certaines entreprises, avant que le réseau RGTR ne connaisse sa couverture territoriale et horaire actuelle. Elles étaient pour la plupart très peu fréquentées et parcouraient pour certaines un tracé quasiment identique à une ligne RGTR. Par une collaboration exemplaire des quatre acteurs de la mobilité que sont l’État, les communes, les employeurs et les citoyens (dans le cas présent représentés par les syndicats), nous avons pu trouver des synergies. Pour le même coût, le réseau RGTR et donc la desserte en milieu rural en sortent renforcés, davantage d’entreprises situées à Colmar-Berg et Bissen sont connectées, et 25 % de plus des employés des entreprises initialement visées par les « lignes usines » peuvent se rendre au travail par les transports en commun avec au plus un transbordement. Dans un souci d’efficacité budgétaire et de renforcement du réseau RGTR, nous continuons cette approche collaborative pour les lignes usines restantes. De plus, en nous appuyant sur les données de l’Observatoire digital de la Mobilité, nous cherchons avec chaque changement d’horaire du RGTR à optimiser la couverture en général, et en particulier celle des pôles d’emploi. En décembre, nous allons par exemple complétement adapter le tracé d’une ligne transfrontalière desservant la zone d’activité de Foetz pour mieux répondre à la demande effective sur le terrain.
Un deuxième axe concerne notre assistance aux entreprises dans le développement d’un concept de mobilité pour leurs collaborateur·rice·s. Les quinze « plans de mobilité entreprise » en cours concernent de grands employeurs privés ou publics, tant de façon isolée que regroupés dans une même zone d’activités. À partir des adresses des collaborateur·rice·s (anonymisées selon les règles RGPD), nous dressons d’abord un diagnostic de l’accessibilité par les différents moyens de transport de tout un chacun. Nous assistons ensuite les employeurs à élaborer un plan avec des actions concrètes : information des collaborateur·rice·s, gestion optimisée du stationnement, autopartage, covoiturage, vélos, le cas échéant des navettes privées complétant le réseau des transports en commun. L’expérience de la centaine de plans de mobilité entreprises déjà élaborés montre deux facteurs-clés du succès. Au niveau de l’entreprise individuelle, il est essentiel que l’employeur désigne une ou un « responsable mobilité » et lui accorde les ressources nécessaires pour que le plan d’action soit effectivement mis en œuvre. Au niveau d’une zone d’activités, un plan d’action et les synergies évidentes ne peuvent être réalisés que si les différents employeurs se regroupent en une sorte de « business club » servant de point de contact externe et interne. J’invite les entreprises qui comptent 50 employé·e·s ou plus à prendre l’initiative et à profiter de ce conseil, qui est bien entendu gratuit (www.mconcept.lu).
Le Luxembourg a beau être au centre de l’Europe, mais au niveau de la mobilité certaines connexions restent compliquées : l’autoroute en direction de la France congestionnée et la circulation ralentie par des chantiers ; le train, pour lequel les connexions vers l’ouest, le nord ou l’est sont lentes et difficiles lorsqu’il s’agit de rejoindre un réseau performant … Existe-t-il des initiatives pour pallier ces désavantages de localisation ?
Vous avez raison, une bonne connectivité vers les pays voisins est primordiale pour notre pays et notre économie. Vers le sud, donc la France, non seulement l’autoroute A3 est en cours d’élargissement, mais la voie ferrée est également en cours de dédoublement. Cela augmentera massivement les capacités sur ce corridor, notamment une fois les travaux équivalents réalisés du côté français. De plus, nous collaborons avec les autorités françaises pour voir renaître des liaisons ferroviaires directes vers Strasbourg, voire Mulhouse. En direction du nord-ouest, il est vrai que nous attendons impatiemment la fin des travaux sur l’axe ferroviaire vers Bruxelles. Les travaux y relatifs sont achevés de notre côté. L’électrification de l’Eifelstrecke permettra dans quelques années une connexion ferroviaire directe depuis Luxembourg au réseau ICE à Cologne. Nous sommes également en train d’explorer, avec les autorités allemandes, la possibilité d’autres connexions ferroviaires vers le sud de l’Allemagne. Les contraintes ferroviaires et les règles européennes en la matière sont telles que c’est un travail complexe. Nous nous y attelons avec d’autant plus de détermination.
Enfin, n’oublions pas le fret pour lequel nous disposons, avec le terminal intermodal de Bettembourg, d’une des infrastructures les plus modernes d’Europe.
Le budget 2025 prévoit presque 4 milliards d’euros en investissements, essentiellement pour le développement de l’infrastructure, de bâtiments publics et du transport. Ces projets devraient permettre à de nombreuses entreprises du secteur de la construction d’atténuer la crise actuelle, à condition que les appels d’offres soient lancés rapidement. Quelles sont les priorités de votre ministère ?
Il est primordial d’investir dans nos infrastructures pour soutenir le développement social et économique. Conscient de cet enjeu, et de la situation dans le secteur de la construction et de ses fournisseurs, le Gouvernement s’engage à préparer et à lancer rapidement de nouveaux projets d’investissement, offrant ainsi de nombreuses opportunités aux entreprises.
En plus des projets de petite et moyenne envergure, plusieurs projets de loi visant des chantiers d’importance ont été déposés, certains ayant déjà été approuvés par la Chambre des députés. Pour 2024, huit lois ont été votées et trois autres projets sont encore en cours de procédure législative. Ces initiatives concernent notamment la construction d’écoles, l’amélioration des réseaux routiers, des projets de mobilité ainsi que des bâtiments performants destinés à garantir le bon fonctionnement de la justice et de l’armée. Parmi les exemples marquants figurent la construction des lycées de Bonnevoie et de Junglinster, l’extension de la ligne de tramway au Kirchberg et vers Hollerich, ainsi que la réalisation d’infrastructures militaires à Waldhof et Bleesdall.
Par ailleurs, la motion annuelle relative aux grands projets d’infrastructure, présentée à la Chambre des députés, illustre l’ambition du Gouvernement investir de manière soutenue dans les infrastructures du pays dans les années à venir. Le nombre de projets à étudier, dont le coût dépasse 15 millions d’euros, devrait passer de 26 en 2022 à plus de 40 en 2024.
Compte tenu de l’ambition pour les années à venir, les ministères et administrations concernés devront se donner les moyens en ressources humaines nécessaires afin d’optimiser davantage les délais de planification et de soumission des projets et à utiliser au maximum le budget alloué.
En tant que ministre de l’Égalité des genres et de la Diversité, vous avez récemment relancé une action de sensibilisation à l’égalité de traitement et à la prise de décision en entreprise, un sujet qui vous est cher. Pouvez-vous nous rappeler en quoi consiste le programme des Actions Positives ? Y a-t-il des bonnes pratiques dont le secteur de l’industrie en particulier devrait d’inspirer ?
Notre programme Actions Positives est conçu pour les entreprises de plus de 50 collaboratrices et collaborateurs, avec pour objectif d’accroître la prise de conscience et de réaliser un état des lieux approfondi sur les pratiques en matière d’égalité des genres et de diversité. Ce diagnostic permet aux employeur·euse·s d’identifier les leviers à actionner pour instaurer un environnement de travail plus équitable, ce qui contribue à une performance durable et améliore l’attractivité de l’entreprise auprès des talents, tout en renforçant le bien-être des équipes en place.
Le programme se déroule en plusieurs étapes, incluant une analyse précise de la situation dans l’entreprise et la mise en place d’un plan d’action pour l’égalité des genres. Cette démarche est couronnée par une certification officielle, valorisant les efforts entrepris.
En 2024, Post Luxembourg a rejoint le programme, et Cargolux sera certifiée en décembre, soulignant l’importance de ces initiatives dans des entreprises clés pour le pays. Ces engagements illustrent une véritable success story luxembourgeoise et constituent une source d’inspiration pour le secteur industriel, qui pourrait y trouver des exemples concrets pour renforcer sa politique en matière d’égalité et de diversité.