La crise du coronavirus constitue un véritable défi pour la santé publique et la croissance de l’Union européenne. La santé publique est la première priorité et il faut reconnaître le courage exceptionnel dont font preuve tant de travailleurs et d’entreprises pour venir en aide aux malades et maintenir la production de biens et services essentiels à la société. Or, ces travailleurs et ces entreprises, en particulier les PME, souffrent déjà de façon dramatique des restrictions nécessaires qui ont été mises en place par les États membres de l’Union.

C’est surtout dans ces moments de crise, que l’Union doit défendre sa valeur ajoutée, reposant sur son « espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes » ainsi que son marché intérieur : « elle œuvre pour le développement durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement. Elle promeut le progrès scientifique et technique. Elle promeut la cohésion économique, sociale et territoriale, et la solidarité entre les États membres »[1]. Pour reconstruire l’économie européenne après la crise sanitaire, l’Union doit sauver ces principes et promouvoir la solidarité européenne à travers chacun d’entre eux.

Dès lors que les structures financières et industrielles varient énormément d’un État à l’autre et, dès lors, aussi, que les chaînes d’approvisionnement sont profondément transfrontalières, le fonctionnement du marché intérieur est vital pour la livraison des biens et services dont nous dépendons tous. Et le maintien de l’activité industrielle dans un État membre est crucial pour minimiser les perturbations et les pertes d’emplois dans un autre.

La Commission européenne reconnaît l’importance du marché intérieur et a ainsi présenté des lignes directrices relatives aux mesures de gestion des frontières et des orientations pratiques sur leur mise en œuvre, instituant des « Green Lanes »[2]. En l’occurrence, les points de passage frontaliers pour les voies réservées devraient être ouverts à tous les véhicules de transport de marchandises, et le franchissement de la frontière, y compris les contrôles et dépistages éventuels, devrait se réaliser dans un bref délai (max. 15 minutes). En outre, les lignes directrices concernant l’exercice de la libre circulation des travailleurs pendant l’épidémie de COVID-19 constituent un pas très important vers plus de coordination[3].

Bien que la plupart des États membres se sont officiellement et publiquement engagés à maintenir le fonctionnement des libertés de circulation,  elles restent sous l’emprise de nouveaux contrôles aux frontières intra-UE. Initialement, des retards de livraison de marchandises de plus de 30 heures ont été signalés à certains postes frontaliers intra-UE et jusqu’à 72 heures aux frontières extérieures de l’UE. Malgré les améliorations, certains États membres imposent une quarantaine de 14 jours aux transporteurs ou vont même jusqu’à instaurer une interdiction de traverser les frontières de l’Union. En conséquence, la libre circulation des travailleurs est affectée et pourrait engendrer des conséquences économiques importantes.

En vue d’améliorer la situation, les États membres devraient en premier lieu tous respecter leurs engagements. De plus, la Commission devrait  proposer des actions plus concrètes pour faire exécuter ses mesures de gestion des frontières et en assurer l’uniformité nécessaire. Elle devrait encourager davantage les États membres à prendre des mesures harmonisées et coordonnées afin de garantir la libre circulation en toute sécurité de tous les travailleurs.

Nous aurions également besoin d’une approche véritablement coordonnée de ce que constituent les infrastructures, les biens, services et activités essentiels. Or, il n’y a pas de modèle cohérent partagé par les États membres, qui permettrait une comparaison facile des secteurs et activités dits « essentiels ». Les listes varient dans les degrés de détail et il n’est donc pas non plus possible de déterminer avec précision quelles activités économiques spécifiques sont couvertes dans le pays concerné. Nous constatons par exemple que certains États, qu’ils soient ou non membres de l’UE, prescrivent et requièrent la présentation de certificats pour démontrer le caractère « essentiel » de l’activité, du bien ou du service fournis. Le fait que ces États n’utilisent pas les mêmes critères de détermination et que d’autres ne connaissent pas ce système de certification engendre des blocages dans les chaînes d’approvisionnement.

Plus généralement, un manque de coordination quelconque sur les stratégies de sortie en étapes du confinement est observé. Alors que la Commission européenne a été mandatée à travailler sur un plan de sortie coordonnée, il se pourrait que la sortie de certains pays se fasse en amont sur d’autres. En réalité, les États membres travaillent sur des stratégies nationales et les exécutent à des rythmes différents. Cela peut se comprendre dans la mesure où ils se trouvent parfois dans des situations très divergentes par rapport à l’émergence, à leur réaction et au développement du coronavirus. Cependant, ils devraient synchroniser le déploiement de leurs mesures nationales pour éviter toute entrave supplémentaire au fonctionnement du marché intérieur.

Lors de la crise financière de 2008, l’UE souffrait déjà des divergences d’opinion entre les États membres. À l’heure de la montée des populismes et des tendances protectionnistes mondiales, l’Union, plus que jamais, devrait démontrer la valeur ajoutée de l’effort collectif et du marché intérieur. Il est clair que la priorité est de gérer la crise sanitaire mais si les conséquences sociales et économiques sont déjà énormes aujourd’hui, il faut réagir à la hauteur de ce qu’elles pèseront éventuellement demain. L’Union devrait faire preuve à la fois de rapidité et d’unité dans sa réponse et prendre des mesures européennes convaincantes et courageuses. Enfin, une fois la crise du COVID-19 surmontée, il sera important d’en tirer les bonnes leçons et d’améliorer la capacité de l’Union européenne à mettre en œuvre des réformes renforçant notre économie.

[1] Article 3 Traité sur l’Union européenne

[2] Communication from the Commission on the implementation of the Green Lanes under the Guidelines for border management measures to protect health and ensure the availability of goods and essential services

[3] Commission Guidelines concerning the exercise of the free movement of workers during COVID-19 outbreak

Angela Lo Mauro
Conseillère affaires européennes auprès de la FEDIL