Après la signature de l’accord tripartite du 28 septembre, nombreux étaient les commentaires qui critiquaient les options y retenues pour réagir à la crise énergétique, économique et sociale qui est en train de s’accentuer à l’approche de l’hiver. Le manque de sélectivité sociale, l’absence d’un signal de prix face à une offre insuffisante d’énergie ou encore le manque de prévisibilité pour 2024 et au-delà constituent les principaux éléments de critique.
Malgré les réserves qu’on peut exprimer, à juste titre, à l’égard de cet accord tripartite, la délégation des employeurs y a finalement adhéré et cela pour plusieurs raisons : D’abord parce qu’il fallait trouver une solution rapide pour les ménages et que face à l’urgence, il n’était matériellement guère possible d’alléger la facture des ménages d’une manière plus sélective en si peu de temps. Ensuite, parce que les entreprises attendaient avec impatience des actions gouvernementales spécifiques visant à atténuer les effets d’explosion des coûts énergétiques et à améliorer l’encadrement nécessaire à la réduction de leur degré d’exposition aux énergies fossiles. Finalement, parce qu’à l’approche des élections législatives de 2023 et confronté à l’obstination des syndicats à vouloir favoriser le pouvoir d’achat sans nuance aucune, il s’avérait impossible cette fois de s’entendre sur des réponses plus sélectives et plus structurelles à la situation de crise, et plus particulièrement au problème de l’inflation galopante.
Face à la menace de quatre tranches indiciaires en 2023 et face aux sérieux problèmes sociaux engendrés par la flambée des prix énergétiques, un accord suboptimal mais rapide, produisant des effets immédiats, vaut mieux qu’aucun accord. Or, à nos yeux, l’adhésion du gouvernement, des partenaires sociaux et d’une large majorité parlementaire à l’accord tripartite du 28 septembre ne doit pas signifier que les critiques susmentionnées ne devraient pas être prises au sérieux. Ceci est d’autant plus vrai qu’une clause de rendez-vous prévoit déjà un retour à la table de négociation en cas de persistance de la crise au-delà de l’échéance de fin 2023.
Dans le souci d’éviter une croissance inquiétante du taux d’endettement du pays avec toutes les conséquences que cela comporte, l’intervention gouvernementale anticrise post-2023 devrait être guidée par la volonté d’assurer une approche plus sélective. Pour ne prendre que le seul exemple de l’énergie, si la situation sur les marchés européens de l’énergie devait rester tendue au-delà de 2023, l’action gouvernementale devrait inciter davantage à une réduction de la demande. Ainsi, toute nouvelle mesure destinée à atténuer l’impact des prix énergétiques sur les ménages au-delà de 2023 devrait davantage intégrer la composante des économies d’énergie à réaliser. L’idée d’introduire, par exemple, pour cette période dans les mécanismes à mettre en place une règle 80/20 avec un socle de 80% à prix subventionné et une consommation marginale au prix du marché mérite, à notre sens, que l’on s’y attarde. Elle n’était probablement pas réalisable à la hâte, mais elle peut constituer un sérieux incitant à la réduction de la consommation à l’intérieur du système-même à mettre en place au-delà de 2023. Rien n’empêche d’étudier de tels concepts en détail dès aujourd’hui et d’élaborer des modèles prêts à l’emploi en vue d’une éventuelle révision de l’intervention étatique sur les prix.
À relever qu’une incitation insuffisante aux économies d’énergie dans le chef des ménages risque à terme de se répercuter négativement sur l’activité industrielle, car ce sont les entreprises industrielles qui fourniront en fin de compte le délestage nécessaire pour ajuster la demande nationale d’énergie à une offre fragilisée.
Les travaux tripartites fournissent une réponse rapide à une situation d’urgence, il faut le reconnaître. En même temps, des positions que l’on peut qualifier de très conservatrices défendues par certains autour de la table à Senningen, illustrent le fossé qui existe entre les grandes ambitions de politique durable et la réalité sur le terrain. Les « Luxembourg in transition », « Luxembourg Stratégie » ou autres « Plan national intégré en matière d’énergie et de climat (PNEC) » viennent de prendre un sacré coup de vieux. Comment les remettre sur la trajectoire en l’absence de mesures structurelles visant à ajuster le comportement de tous les agents économiques à une contrainte immédiate de rareté et à une exigence à moyen terme de réduction de l’empreinte écologique ? La question est posée.