La situation actuelle des industries intensives en énergie au sein de l’Union européenne est de plus en plus préoccupante. Le secteur fait face à des défis sans précédent, notamment en raison de l’augmentation des coûts de l’énergie et des régulations environnementales de plus en plus strictes. Cette conjoncture a poussé plusieurs entreprises à remettre en question leur viabilité à long terme sur le territoire européen.

Un exemple éloquent de cette crise est l’annonce fin janvier de la fermeture de l’usine de production de verre plat que le groupe Guardian exploite à Llodio en Espagne. Avec Llodio, cet acteur majeur de l’industrie du verre, également présent au Grand-Duché, aura fermé cinq de ses onze usines européennes endéans quatre ans. Cette décision, bien qu’impactante pour l’économie locale, symbolise une tendance plus générale où les entreprises particulièrement sensibles au coût de l’énergie et du carbone et techniquement difficiles à décarboner cherchent des horizons plus rentables en dehors de l’Union européenne.

Fin novembre 2024, le groupe ArcelorMittal avait mis en suspens son programme d’investissement de quelques milliards d’euros dans la décarbonation de plusieurs sites européens, en soulignant que les conditions pour engager cette opération n’étaient pas réunies. Le sidérurgiste pointe du doigt le cadre réglementaire, les problèmes de disponibilité et de coût des énergies requises ainsi qu’une situation concurrentielle défavorable en Europe. Deux mois plus tard, le nouveau président d’ArcelorMittal France est revenu à charge avec l’annonce alarmante que tous les sites sidérurgiques en Europe sont actuellement à risque.

Au sein de notre pays, l’entreprise Mylar Speciality Films vient d’annoncer qu’elle va fermer sa dernière ligne de production après une première décision de fermeture partielle déjà implémentée en 2023. À l’instar d’autres réductions ou fermetures de capacités industrielles dans notre pays, celle-ci est motivée, entre autres, par le niveau trop élevé des coûts énergétiques en Europe.

Une annonce particulièrement inquiétante pour toutes les industries européennes grandes consommatrices de gaz naturel est venue juste avant Noël 2024, lorsque le ministre de l’Énergie du Qatar a menacé de mettre un terme aux livraisons de gaz naturel liquéfié (GNL) à l’Union européenne, si les pays de l’UE appliquaient strictement une nouvelle directive européenne sur les chaînes d’approvisionnement durables, la CSDDD. En cas de non-respect des critères de durabilité énoncés dans ce nouveau texte législatif européen, une entreprise s’expose à des amendes pouvant aller jusqu’à 5% de son chiffre d’affaires mondial.

Cet exemple expose le haut degré de vulnérabilité de nos économies sur la question énergétique et il montre que notre influence internationale et notre marge d’action en matière de relations commerciales sont de plus en plus limitées. Jusqu’à présent, le législateur européen a suggéré le contraire, ce qui provoque des frictions et des insécurités peu favorables au climat d’investissement dans les branches exposées.

Les fermetures et mises en attente d’investissements révèlent une perte de confiance croissante dans la capacité de l’Europe à offrir un environnement compétitif et durable pour des secteurs d’activité qui forment souvent la base de chaînes de valeur industrielles en Europe. Des chaînes de valeur que l’Europe devrait sauvegarder pour réduire ses dépendances économiques sur le plan international et pour porter ses ambitions dans les domaines écologique, de l’innovation ou encore de la défense.

Cette navigation de moins en moins évidente entre des projets politiques bien intentionnés et une dure réalité économique, la perte du chemin de la réussite économique ainsi que les pressions politiques internes et externes exercées sur elle ont amené la Commission européenne à se procurer une boussole de la compétitivité.

Annoncée comme une stratégie pour renforcer la compétitivité européenne, la boussole de la compétitivité vise à attirer et à maintenir les investissements dans l’UE, en proposant des réformes structurelles et des incitations financières. Cependant, face aux réalités du terrain, ces annonces, si elles ne sont pas rapidement suivies de plans d’action concrets et incisifs, vont peiner à rassurer les acteurs industriels qui sont sur le point de tourner le dos à l’Europe comme site de production. L’exécutif européen et les deux colégislateurs, à savoir le Parlement et le Conseil, devront porter avec conviction cette feuille de route conjointe pour la décarbonation, la compétitivité et l’emploi industriel ainsi que les adaptations législatives majeures qu’elle implique, sinon la boussole entrera dans l’histoire comme l’énième emballage d’un produit qui ne se vend pas.

René Winkin
Directeur de la FEDIL