De la Poudrerie de Luxembourg à Silicon Valley de Kockelscheuer
Les murs du bureau de Charles-Louis Ackermann sont recouverts de lambris de bois, un tapis étouffe les bruits parasites, une collection de minéraux décore les rebords des fenêtres, dans un coin il a fait mettre une plante dans un bac à batteries encore en verre recyclé en pot de fleurs. L’atmosphère est feutrée. Elle respire la tradition d’une entreprise plus que centenaire. Or, sur le bureau même, trône un gigantesque écran d’ordinateur. Signe de la hyper-connectivité d’Accumalux Group, il permet à Charles-Louis Ackermann de tout surveiller. Rien qu’en un clic. Non qu’il soit un maniaque du contrôle, mais cette digitalisation par laquelle il a su adapter au futur son entreprise dès les premières poussées informatiques, le passionne ! « Et d’ailleurs, le tout premier ordinateur Philips au Luxembourg a été testé ici », ajoute-il.
Charles-Louis Ackermann, chef d’un joyau de l’écosystème luxembourgeois, aime anticiper. C’est pourquoi sa montre au bureau avance d’un quart d’heure. Anticiper pour être à l’heure. « Always one step ahead », lit-on sur le site web d’Accumalux Group. Commencer tôt, prévoir les évolutions économiques : arriver au bon moment. Voilà la clé de voûte de la stratégie qui a permis au luxembourgeois de mener cette entreprise de la dynamite aux batteries et, à présent, à une sorte de mini Silicon Valley luxembourgeoise.
Peu d’industriels ont la carrure d’en arriver jusqu’à un pseudonyme. Charles-Louis Ackermann prétend ne pas en avoir, encore que sa carrure le lui permettrait. On pourrait aisément l’appeler Monsieur Dynamite. Ce serait de bonne guerre. Car, non seulement a-t-il l’énergie entrepreneuriale d’une poudrière, mais qui plus est, il se trouve à la tête de ce qui au départ a été la très vénérable Poudrerie de Luxembourg.
Cette dernière fête actuellement le 110e anniversaire d’une histoire mouvementée. Deux ans après sa création en 1906, la Poudrerie mit au point dans ses propres laboratoires un nouvel explosif civil. Cet explosif, la Luxite, a pu devenir l’explosif de référence pour les mines de fer de l’Arbed comme aussi pour la canalisation de la Moselle à Luxembourg, mais elle a aussi été exportée jusqu’en Afrique du Nord, en Asie et même en Amérique Latine où la Poudrerie entretenait une succursale. A cette date, la société avait déjà érigé sur son site de 65 hectares à Kockelscheuer plus de 50 bâtiments reliés par une infrastructure sans faille : un dédale de souterrains, routes, centrales avec chauffage à distance, une centrale électrique, un réseau ferroviaire, et même un château d’eau.
Jadis on a fait exploser de la Luxite, maintenant ce sont les idées qui vont jeter des étincelles.
Dans les années 1970, la fermeture des mines de fer entraîne la disparition du plus gros client national de la Poudrerie de Luxembourg. C’est alors qu’il fallait anticiper une nouvelle fois : sous l’impact du président du Conseil d’Administration, qui n’était autre qu’Auguste-Charles Laval, de lien familial avec un certain Henry Owen Tudor, Raymond Ackermann, administrateur-délégué de la Poudrerie, conçut l’idée de se lancer dans les accumulateurs dès 1976, année de naissance d’Accumalux s.a..
L’activité d’Accumalux consiste en la fabrication de bacs et de couvercles de batteries par le procédé du moulage par injection de matières thermoplastiques destinées aux secteurs de l’industrie automobile et industriel. La gamme de produits Accumalux comprend notamment les ensembles pour accumulateurs de démarrage, de traction, ainsi que de batteries stationnaires et certains accessoires destinés aux producteurs de celles-ci. Des moules à injection des plus complexes permettent de réaliser une vaste panoplie de bacs à batteries aux dimensions préfinies, répondant ainsi aux besoins de la plupart des fabricants d’accumulateurs au monde.
Des investissements toujours renouvelés et une politique R&D ont permis au groupe de se positionner à l’échelle internationale : ce fut notamment la création d’une gamme très complète de nouveaux outils pour les batteries de démarrage, mais surtout l’investissement dans l’automatisation et, finalement, le soin porté à l’ergonomie et à l’écologie de ses produits qui ont contribué à placer l’entreprise de Kockelscheuer parmi les grands players mondiaux dans leur secteur.
Si Charles-Louis Ackermann sait anticiper, il a aussi la faculté de penser grand et de prendre des décisions musclées. Le seul site de Kockelscheuer, dont la visite demande une marche forcée aux côtés du chef d’entreprise, constitue l’œuvre d’une vie. Aujourd’hui, Charles-Louis Ackermann, pourrait se reposer, contemplant toute l’envergure de son groupe qui emploie actuellement plus de 350 personnes, travaille 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, et regroupe des unités de production en République Tchèque (1998), en Australie (2005), en Bulgarie (2008) et en Russie (2014).
Mais la complaisance n’est pas son genre. À l’image de ses batteries, il semble rechargeable et recyclable à souhait : il carbure à une cadence soutenue et, protée entrepreneurial, il sait s’adapter à tous les terrains de l’évolution économique. « Je suis homme de terrain », explique-t-il. Il aime mettre les mains dans le cambouis, sinon il ne saurait pas anticiper comme il le fait.
Et d’ailleurs il s’active à préparer son nouveau coup : il a commencé par la dynamite, puis il a fait dans la batterie, et là, dans son petit village de Kockelscheuer, il lui prend l’envie de brasser de la Silicon Valley : « Jadis on a fait exploser de la Luxite, maintenant ce sont les idées qui vont jeter des étincelles ». Il compte leur donner toute leur force explosive dans le cadre d’un projet qu’il a baptisé ParcLuxite. Il s’agit dès à présent de transformer l’ancien site de fabrication d’explosifs avec sa ribambelle de bâtiments en un parc industriel des plus high-tech. Ce sera un vivier pour des entreprises et des start-ups à haut potentiel et cela tout en préservant ses alentours naturels de même que le patrimoine de la Poudrerie du Luxembourg. Clairement, Charles-Louis Ackermann compte offrir un espace privilégié aux créatifs, à ces jeunes sauvages et pépites qui vont façonner l’écosystème luxembourgeois de demain.
Le défi est plutôt sérieux. Plus d’un pourrait en être stressé. Mais Charles-Louis Ackermann, lui, se montre serein. Car : bien conscient de certaines inerties organisationnelles qui ne se laissent guerre influencer par le rythme poussé de l’économie mondiale, il a à nouveau anticipé afin d’être, comme toujours, à l’heure. Et qui plus est, il n’a pas manqué de s’entourer d’une équipe composée d’une belle brochette de jeunes gens qui lui permettent constamment de se remettre en question, de voir les choses sous un autre angle. Il aime souligner que tant Accumalux que Poudrerie avec le ParcLuxite sont avant tout l’œuvre des hommes et femmes qui composent ces sociétés, tant de l’excellente équipe dirigeante actuelle que de tous les maillons formant la solide chaîne du personnel.
Il n’aime pas se plaindre, mais il y a pourtant un petit détail qui le révolte : « J’entends souvent demander si l’industrie a encore une raison d’être dans notre pays. Cela m’attriste », souligne Charles-Louis Ackermann, chef d’Accumalux Group dont il a contribué à faire, à partir du petit Grand-Duché, le premier des global players en Europe et le deuxième au monde dans son domaine. Est-ce qu’il est satisfait ? « Honnêtement, peut-on jamais être satisfait, si on a des idées ? » Et pour arriver au résultat ? Brainstorming avec ses équipes, puis il fonce. Mais « Festina lente, précipite-toi lentement. », aime-t-il dire. Et c’est ce qu’il fait depuis les 40 ans qu’il fait évoluer les choses. C’est d’un pas prudent mais d’autant plus certain que Monsieur Dynamite est devenu Monsieur 100.000 Volts pour maintenant se reconvertir en Monsieur Start-Up.