Aujourd’hui lorsque l’on parle des enjeux environnementaux, on fait essentiellement référence à l’impact des gaz à effet de serre (GES) sur le climat et lorsque l’on parle d’économie circulaire, on pense généralement au recyclage. Et, sur ces deux sujets, on pense tous fournir des efforts ; le citoyen qui achète des produits dits recyclables et fait du tri sélectif de ses poubelles ; l’État qui met en place différents instruments tels que règlementations, quotas d’émission, taxation, subvention à l’innovation écoresponsable ainsi que l’industriel qui depuis longtemps travaille à la réduction d’énergie et répond aux différentes contraintes réglementaires environnementales y compris la gestion des déchets.

Donc, individuellement, nous avons tous plus ou moins bonne conscience et pensons faire notre part, tout en continuant à consommer de plus en plus et à produire toujours davantage comme on le fait depuis 150 ans. Or, force est de constater que malgré tous ces efforts, les émissions de GES ne diminuent pas et l’exploitation des ressources continue à augmenter jusqu’à consommer 1,75 fois ce que nous offre la planète terre. Face à ce constat, M. Guterres, président de l’ONU, a osé parler à la COP27 de « suicide collectif » et d’ajouter « L’humanité a un choix : coopérer ou périr ».

Il y a donc bien quelque chose qui ne va pas. Qu’est-ce que nous n’avons pas compris ?

Nous n’avons pas compris le lien direct qui existe entre d’une part, l’impact carbone et d’autre part, l’extraction des ressources et la production de biens, ainsi que mesurer uniquement l’impact carbone ne permet pas d’adresser totalement le problème de la rareté des ressources. Sur ces sujets, je vous recommande de lire le Circularity GAP Report (5ème édition) de Circle Economy qui démontre que 70% des émissions de GES est généré par la manipulation et l’utilisation de matériaux et que l’économie circulaire peut réduire de 28% l’extraction de ressources et de 39% les GES. Pour atteindre cet objectif, le taux de réutilisation des matériaux devra doubler pour atteindre 17% d’ici 2032 comparé à 8,6% aujourd’hui.

Que signifie le taux de réutilisation ?

Certainement pas uniquement du recyclage et ce pour plusieurs raisons :

La première c’est que lorsque l’on restreint l’économie circulaire à l’utilisation de matières recyclées ou à la production des produits dits recyclables, nos entreprises sont confrontées à deux difficultés : la première, d’être dépendantes de l’offre de matières recyclées et la seconde d’être en compétition, en aval, avec des produits issus de matières vierges, potentiellement moins chères selon le cours des matières premières et du pétrole.
Ceci est déjà le cas, par exemple dans l’industrie textile, avec le PET des bouteilles jetables que toutes les entreprises textiles veulent récupérer. Ceci a pour conséquence de faire augmenter le prix du PET recyclé à tel point que le prix du PET recyclé a déjà dépassé celui du PET vierge et que le PET recyclé est moins utilisé pour les bouteilles qui continuent à être produites avec de la matière vierge.

La deuxième est qu’à l’exception des métaux, la matière recyclée physiquement perd en qualité et ne peut donc être recyclée qu’un nombre limité de fois. Il n’est donc pas possible de récupérer les produits que nous fabriquons pour les recycler indéfiniment.

Enfin la troisième et certainement la plus importante est que le recyclage détruit immédiatement la valeur des produits que nous avons fabriqués. Comme illustré sur la figure 1, lorsqu’une poutre métallique, dont la valeur est bien supérieure au fer dont c’est le matériau de base, part au recyclage, sa valeur chute immédiatement à la hauteur de celle du fer, voire moins compte tenu des coûts associés au procédé de recyclage.

Figure 1 : Destruction linéaire de la valeur. Source +ImpaKT Luxembourg, 2018

En revanche, comme illustré dans la figure 2, si la poutre est démontée pour être réutilisée, elle pourra être revendue à une valeur plus proche de sa valeur d’origine que celle du fer recyclé.

Figure 2 : Préservation circulaire de la valeur. Source +ImpaKT Luxembourg, 2018

Lorsque l’on parle d’économie circulaire, on ne parle donc pas d’écologie mais bien d’un système économique qui permet de préserver la valeur des matériaux, comme illustré par la pyramide de la valeur sur la figure 3, grâce au partage ou à la réutilisation (augmentation de l’intensité d’usage), à la réparation ou au reconditionnement (augmentation de la durée d’usage) puis finalement et uniquement finalement, au recyclage mécanique ou chimique.

Figure 3 : Pyramide de la valeur. Source : Stratégie nationale « Zéro Déchet »,
Luxembourg, 2020.

Qui doit entrainer la transition vers l’économie circulaire ?

J’entends souvent dire que ce sont les consommateurs or, s’ils ont effectivement un impact important par leurs modes de consommation, ils restent tributaires de l’offre et surtout de la conception des produits. Si un consommateur peut acheter un produit de seconde main en bon état beaucoup moins cher qu’un neuf, il le fera. Cependant si le coût de réparation d’un produit électroménager est prohibitif parce que les pièces détachées ne sont pas disponibles ou qu’il n’obtient pas de garantie de fonctionnement, il préfèrera acheter du neuf. De même, le consommateur ne préfèrera pas la location ou prendre une extension de garantie quand les coûts sont prohibitifs, car les gens se mobilisent non pas pour l’avenir lointain mais pour préserver leurs conditions de vie.

Pour accompagner les changements de modes de consommation, les consommateurs bénéficient de plus en plus des nouvelles règlementations européennes, comme l’indice de réparabilité déjà en vigueur en France ou l’interdiction de certaines substances toxiques pour la santé ou la nature. Les États restent donc aussi des leviers extrêmement importants, mais leurs actions sont lentes, car ils ont du mal à se mettre d’accord sur les mesures à prendre collectivement soit qu’ils veulent éviter des mouvements sociaux soit qu’ils sont influencés par des lobbyistes qui priorisent le seul développement économique.

Il n’y a donc que les entreprises pour mettre en place des solutions efficaces répondant aux principes de l’économie circulaire. Les nouvelles offres et business models de l’économie circulaire viennent, tout comme l’innovation disruptive, de la périphérie des entreprises établies. Pour exemple, le développement des offres textiles de seconde main n’est pas venu des grandes marques mais de startups (Vinted, Vestiaire collective…) qui ont disrupté le marché. Et c’est l’offre de ces start-ups et non pas une règlementation qui a entrainé les changements de consommation. Ce n’est que très récemment que les marques ont réagi en offrant aussi des produits d’occasion à côté de leurs produits neufs afin de stopper la fuite de clientèle, mais aussi parce que les marges sur les produits d’occasion sont significatives.

C’est sous l’impulsion de pionniers tel que BackMarket qui répare et revend de l’électronique grand public ou de grands groupes comme Renault qui reconditionne des pièces automobiles que se mettent en place de nouvelles règlementations tel que le passeport produit, (prévu en 2024 pour les batteries suivies par le textile et les produits électroniques) qui permettra l’identification et la traçabilité des matériaux, apportera de la transparence sur les usages et fournira les instructions de maintenance et réparation.

L’économie circulaire n’est donc pas un objectif mais bien une boite à outils.
L’économie circulaire ne doit pas être perçue comme une contrainte ou un risque pour nos entreprises mais plutôt comme une opportunité de faire évoluer les modèles économiques encore basés sur la seule production.
L’économie circulaire demande que nous revoyions la conception des produits pour qu’ils soient durables, réparables, démontables. Et parce que déjà développés dans certaines industries ou par des startups de plus en plus nombreuses, nous savons maintenant que des modèles économiques de location ou de partage de biens ou le développement de nouveaux services comme la réparation, le reconditionnement ou le remanufacturing sont aussi générateurs de gains (Renault fait plus de marge sur des changements de vitesse reconditionnés que sur des neufs).
L’économie circulaire est une opportunité pour nos entreprises de devenir plus résilientes car moins dépendantes des ressources (disponibilité, prix…) et d’être moteur de la transition écologique sans subir les règlementations mais en les influençant (c’est la stratégie de Tarkett).
L’économie circulaire est source de nouveaux emplois de maintenance, réparation, collecte ou revente, emplois qui sont généralement des emplois locaux.

C’est grâce à ces actions que nos entreprises permettront l’accélération du passage à l’échelle de l’économie circulaire et éviteront d’être disruptées par des nouveaux acteurs de la transition écologique. Bertrand Picard, président de la Fondation Solar Impulse disait récemment « quand je suis trop déprimé par les discours politiques, je me tourne vers les entrepreneurs et les industriels car les solutions existent, il faut les mettre en oeuvre ! ».

Il ne s’agit donc plus aujourd’hui de se demander quoi faire mais de regarder ce qui est en train de se faire et d’agir.