« Le premier objectif du gouvernement sera de maîtriser l’évolution des prix sur le marché immobilier ». A l’aune de cet objectif contenu dans le programme gouvernemental de 2013 (p. 149), la politique du logement conduite au Luxembourg au cours des 10 dernières années s’apparente à un échec cuisant puisque le prix moyen du mètre carré a quasiment doublé entre le 4e trimestre 2013 et le 1er trimestre 2022.

S’arrêter à cette rationnelle conclusion d’un échec monumental serait toutefois injuste.

La (triste) vérité est que la promesse – non définie par une cible à atteindre – de « maîtriser » les prix des logements, percutée par le faible niveau des taux d’intérêt qui faisait gonfler la valeur des actifs et par la croissance démographique qui alimentait la demande immobilière, était tout simplement impossible à honorer ; l’envolée des prix immobiliers dans la quasi-totalité des métropoles européennes attractives (Paris, Bruxelles, Amsterdam, Munich, Copenhague, etc.) depuis 2013 en atteste.

Aussi, considérer – comme généralement admis – que la baisse de l’accessibilité à la propriété pour le ménage moyen serait le fait, voire la faute, des ministres du Logement successifs (Maggy Nagel, Marc Hansen, Sam Tanson, Henri Kox) oblige – symétriquement – à les remercier, voire à les féliciter, de ce qu’un couple qui possède un appartement qu’il aurait acheté à Mersch en 2013 pour 400.000 euros et qui vaut actuellement près de 800.000 s’est considérablement enrichi ; curieusement, dans un Luxembourg où 72% des ménages étaient propriétaires en 2013, de tels lauriers ne leur sont jamais tressés.

En fait, à trop tourner autour de la question de l’évolution des prix immobiliers, les conversations portant sur la politique du logement en sont arrivées à ignorer certains sujets majeurs (fiscalité, sort des locataires, construction d’ensembles, participation des employeurs à l’effort de logement) qui méritent pourtant, au même titre que le prix du m2, d’être au centre des débats publics.

La fiscalité immobilière

Qu’il faille remettre à plat la fiscalité immobilière est l’une de ces vérités luxembourgeoises que chacun admet … mais que beaucoup semblent vouloir esquiver à l’infini. Alors que les programmes de coalition de 2013 et 2018 disaient qu’une réforme de l’impôt foncier (qui ne rapporte que 40 millions d’euros par an alors que la valeur totale des seules résidences principales au Luxembourg est estimée à plus de 150 milliards d’euros) était parmi les priorités gouvernementales, il a fallu attendre le discours sur l’état de la Nation de 2021 pour voir les débats à ce sujet plus sérieusement engagés. Mais s’il est bienvenu de s’attaquer – enfin – à cet incompréhensible et coûteux retard, il est toutefois regrettable que l’attention en matière de fiscalité immobilière se concentre sur le seul impôt (anti-spéculatif) foncier ; il serait préférable de penser une réforme globale dont la visée serait d’instaurer plus de cohérence dans le nombre impressionnant d’impôts ayant une assiette immobilière et d’opérer un glissement fiscal en taxant moins les transactions, davantage la détention et en sortant de l’approche « universaliste » (i.e. sans prise en compte des niveaux de revenus ou de patrimoine) des dépenses fiscales en faveur des acquéreurs. Hélas, les importants transferts de charge entre contribuables qu’implique une telle réforme systémique semblent la rendre politiquement impossible.

Le sort des locataires

Parce que le Grand-Duché est une démocratie de propriétaires, peu de cas est en général fait de la situation des locataires qui sont pourtant 20% à vivre dans un logement surpeuplé, 30% à dépenser plus de 40% de leurs revenus pour se loger et près de 50% à être en situation de risque de pauvreté après prise en compte des coûts liés au logement. Puisque de nombreux locataires sont « condamnés » à le rester (selon la Banque centrale du Luxembourg seulement 18% d’entre eux seraient capables de rembourser l’hypothèque nécessaire pour l’achat du bien qu’ils louent) et que leur taux d’effort risque de s’alourdir dans le contexte inflationniste, les trois principaux outils de la politique du logement locatif devraient être optimisés :

  1. La subvention de loyer, qui n’est effectivement versée qu’à 20% des ménages éligibles (ce qui permet à l’État de réaliser environ 20 millions d’euros d’économie par an) devrait faire l’objet d’une campagne de communication massive (e.g. envoi par sms d’informations concernant la subvention de loyer sur le modèle du système d’alerte national) dans l’espoir d’augmenter le taux de recours et/ou être intégrée dans le système d’impôt sur le revenu (e.g. une fraction des loyers pourrait être déductible du revenu imposable) ;
  2. Le ministère du Logement devrait veiller à la stricte application et au respect véritable de la loi de 2006 sur le bail à usage d’habitation qui demeure un allié objectif (non-utilisé) de la volonté de voir se multiplier les logements abordables ;
  3. Les aides aux bailleurs (amortissement accéléré, abattement immobilier spécial, déductibilité non plafonnée des intérêts d’emprunt, éventuelle réintroduction de la TVA réduite sur le logement locatif) devraient avoir pour contrepartie l’obligation faite aux investisseurs locatifs de proposer durant plusieurs années les biens ayant bénéficié du concours de l’État à des loyers décotés par rapport au marché.

Les constructions d’ensembles

La création du Fonds spécial de soutien au développement du logement et la multiplication par quatre du montant des aides à la pierre destinées à financer la construction de logements abordables par les promoteurs publics et sans but de lucre sont à mettre au crédit de la politique du logement des 10 dernières années. Elmen, Wunne mat der Wooltz, Neischmelz, Weltgebond, An der Schmëdd sont des projets emblématiques qui incarnent ce virage stratégique. Il y a toutefois à cet égard (au moins) deux questions importantes qui méritent d’être soulevées et auxquelles il va falloir répondre. La première concerne les ventes de logements – dits abordables ou à coût modéré – sous le régime du bail emphytéotique par les promoteurs publics. Est-il certain que ces ventes, qui concernent environ 50% des logements qu’ils produisent, se font à des conditions socialement justes dans la mesure où elles enrichissent les vendeurs (à qui il est reconnu le droit de réaliser un bénéfice raisonnable) mais contiennent pour les acquéreurs (de la classe moyenne) des clauses anti-spéculatives qui sont en réalité des clauses de dépréciation monétaire ? La seconde question se rapporte à la volonté affichée de ne pas intégrer le « privé » dans la stratégie de logements abordables. Sachant que les promoteurs publics ne disposent que d’un parc limité de 3.800 logements locatifs abordables, qu’il n’y a que 1.045 logements en gestion locative sociale, que la capacité maximale des structures d’hébergement pour demandeurs de protection internationale n’est que de 4.500 lits et que la SNHBM, le plus productif des promoteurs publics, tire régulièrement la sonnette d’alarme au sujet des contraintes qui pèsent sur sa capacité de construction, est-il avisé de ne pas nouer avec des investisseurs privés un partenariat stratégique fait de compromis pragmatiques et visant à augmenter la taille du marché de logements (locatifs) abordables ?

La participation des employeurs à l’effort de logement

Jadis, alors que la protection sociale était encore balbutiante et la RSE un concept marketing inconnu, le logement était un instrument central de la politique sociale des entreprises. Au-delà du paternalisme prononcé de certains patrons de l’époque, il en était ainsi parce que limiter la ponction opérée par le logement dans le budget de leurs salariés était un élément important d’attractivité et de rétention de la main-d’œuvre ; « le patron qui aura suffisamment de logements à disposition qu’il pourra louer à des prix raisonnables aux ouvriers n’aura pas trop de problèmes de pénurie de main-d’œuvre »1 déclarait le directeur général (entre 1920 et 1932) de la HADIR Gabriel Maugas. Si les entreprises du pays ont progressivement manifesté un intérêt décroissant pour le logement de leurs salariés pouvant être expliqué par des raisons multiples (désindustrialisation, métamorphose de la société salariale, bi-activité dans les couples, essor de l’État-providence et multiplication des aides au logement, mobilité professionnelle accrue, accès facilité au crédit, suppression de l’obligation d’offrir un logement convenable aux travailleurs non-communautaires, etc.), elles ont peut-être raté une occasion « en or » durant la décennie qui vient de s’écouler de renouer avec une politique sociale du logement.
Alors que la pression démographique, qui s’explique en grande partie par le dynamisme du marché du travail, était forte, les taux d’intérêt faibles et les prix immobiliers en hausse constante, il aurait été bienvenu (de la part des principaux employeurs ou des chambres professionnelles patronales) de créer une société/une a.s.b.l. immobilière qui aurait investi (au Luxembourg et dans la Grande-Région) dans des logements mis en location à des loyers préférentiels aux salariés. Une telle initiative aurait été une version contemporaine de la SAMOD (société anonyme pour la construction de maisons ouvrières à Dudelange), de la société immobilière de l’artisanat (constituée en 1975 entre la chambre des métiers, la baisse de pension des artisans et Promova), de l’a.s.b.l. foyer du travailleur (constituée en 1973 entre la chambre des métiers et la chambre de travail) ; son financement aurait pu reposer sur des cotisations assises sur la masse salariale et sur des dotations publiques au titre de l’article 30-bis2 de la loi modifiée du 25 février 1979 concernant l’aide au logement qu’il aurait fallu revisiter. Et puisque l’existence d’une telle politique du logement des employeurs au bénéfice des salariés aurait en principe réduit leur taux d’effort, elle aurait pu être un instrument de modération salariale et de rétention de talents.

Conclusion

Il est fort probable que la population du Luxembourg continue de croître ; le logement devrait donc demeurer un défi majeur. Il est à souhaiter, puisque qu’un Grand-Duché à 1 million d’habitants risque de devenir un jour réalité, que les futurs débats dépasseront la seule question de l’évolution des prix du m2 et que sera trouvée la martingale qui fera que tous (État, Communes, promoteurs publics, promoteurs privés, investisseurs particuliers, employeurs, propriétaires de terrains, etc.) concourront à étendre la production de logements à un niveau élevé et à développer le segment des habitations à prix régulés.

 

(1) Source : Nadine Schmitz (2011), Le paternalisme d’Émile Mayrisch.
(2) L’Etat peut participer jusqu’à concurrence de quarante pour cent du prix de construction ou d’acquisition de logements pour travailleurs étrangers réalisés par un employeur en faveur de ses employés, sans que la participation puisse excéder six mille deux cents euros par personne logée.