Contrairement à certains pays voisins[1], le Luxembourg ne s’est pas encore doté d’un cadre légal ou conventionnel spécifique règlementant la déconnexion du salarié en dehors de ses heures de travail et précisant ses modalités pratiques. L’accord de coalition de décembre 2018 se limite à prévoir que « le principe de la déconnexion sera établi. Il sera mis en œuvre par les conventions collectives ou les accords interprofessionnels. Ces accords tiendront compte des spécificités du secteur ou de l’entreprise[2] ». Le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Économie sociale et solidaire, Dan Kersch, a indiqué une année plus tard de ne pas voir l’intérêt de légiférer sur le sujet[3]. Or, avec le développement des technologies de l’information et de la communication et selon le poste occupé par le salarié, ses connexions professionnelles durant les périodes de repos sont susceptibles d’augmenter significativement. Ainsi, ce phénomène peut dès lors réduire considérablement la frontière entre la vie professionnelle et la vie privée des salariés.

Dans un arrêt de l’année dernière, la Cour d’appel luxembourgeoise a pour la 1ière fois reconnu le droit à la déconnexion du salarié pendant son congé annuel payé[4]. En l’espèce, un salarié engagé le 3 mai 2010 en tant que « directeur de restaurant » a été licencié le 13 octobre 2014 avec effet immédiat en raison, notamment, de son attitude agressive et déplacée à l’égard de son supérieur hiérarchique. D’autres reproches ont été formulés à son encontre qui ne seront pas détaillés dans cet article faute de pertinence. Le 13 août 2014, le supérieur hiérarchique a envoyé un e-mail au salarié afin de lui signaler son mécontentement suite à la non-exécution de l’une de ses directives. Afin de démontrer l’attitude déplacée à l’égard de son supérieur hiérarchique, l’employeur s’est ainsi basé sur l’e-mail de réponse du 14 août 2014 dans lequel le salarié a écrit ce qui suit : « Je suis en vacances en famille, et vous le savez. Comment osez-vous encore me harceler à une heure si tardive alors que je suis absent depuis une dizaine de jours, alors que je n’ai aucunement cherché à vous contacter d’une manière ou d’une autre. Je vous prie de bien vouloir cesser votre harcèlement (…).

Afin de situer le contexte, il convient de préciser qu’avant le départ en vacances du salarié, son supérieur hiérarchique lui a indiqué de ranger des objets encombrants le couloir du restaurant, ordre qui n’a pas été exécuté. Le salarié s’est contenté de demander par retour de mail au gérant de l’immeuble occupé par le restaurant, qui l’a rendu attentif à ces objets, de s’adresser à son supérieur hiérarchique vu qu’il s’est trouvé en vacances, demande qui a été suivie par le gérant de l’immeuble. Au vu du fait que le salarié s’est trouvé en congé au moment de l’e-mail de son supérieur hiérarchique du 13 août 2014, la Cour d’appel a retenu qu’étant en congé de récréation, il « ne pouvait de toute évidence matériellement pas intervenir pour régler le problème, de même qu’il avait droit pendant son congé, fut-il directeur du restaurant au Kirchberg, à la déconnexion et non être approché pendant la nuit par son supérieur hiérarchique sur un ton menaçant. ».

Le licenciement a été déclaré abusif. Le véritable intérêt de l’arrêt cité consiste néanmoins dans la consécration jurisprudentielle du droit à la déconnexion du salarié durant ses jours de congé. Ce droit a également été discuté durant les négociations entre les partenaires sociaux au sein du Comité économique et social (CES) en vue d’un nouveau cadre du télétravail au Luxembourg. Les partenaires sociaux se sont mis d’accord que ce dernier, en dehors de toute crise sanitaire vécue actuellement, doit se faire sur une base volontaire et que toute disposition future éventuelle relative au droit à la déconnexion applicable à un salarié « classique » s’appliquerait de la même façon au télétravailleur[5].

Fin juillet de cette année, le parlement européen a publié un rapport recommandant à la Commission européenne de légiférer par voie de directive en vue d’instaurer un droit à la déconnexion. L’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL), organisation patronale faîtière du Luxembourg, a envoyé mi-septembre une lettre au commissaire européen Nicolas Schmit afin de le rendre attentif, entre autres, sur le fait que les partenaires sociaux européens ont conclu en juin de cette année un accord européen en matière de digitalisation, comprenant un volet sur les modalités de connexion et de déconnexion du salarié. L’UEL a également insisté sur le fait qu’une législation spécifique relative au droit à la déconnexion serait à nouveau lié à des obligations supplémentaires à charge de l’entreprise et que la législation européenne actuelle, à savoir la directive 2003/88/CE concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail et les directives en matière de sécurité et de santé au travail, serait suffisante afin d’encadrer les questions du temps et d’organisation du travail et donc celle de la déconnexion du salarié qui en découle en ligne droite. L’UEL a également appelé les députés luxembourgeois au parlement européen à ne pas soutenir cette initiative.


[1] P. ex. la France ou la Belgique

[2] Page 156 de l’accord de coalition

[3] https://www.wort.lu/fr/luxembourg/le-droit-a-la-deconnexion-attend-sa-loi-5dc59e7ada2cc1784e34f5ee

[4] Cour d’appel, 2 mai 2019, n° 45230 du rôle

[5] Clause 10 de la proposition de convention relative au régime juridique du télétravail figurant dans l’avis « le télétravail au Luxembourg » du CES

Philippe Heck
Conseiller affaires juridiques et sociales auprès de la FEDIL